PHILOPURE

Philopure… Commentaire : Kant et la morale

Le texte :

« Or je dis : l’homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré ; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d’autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme fin. Tous les objets des inclinations n’ont qu’une valeur conditionnelle ; car, si les inclinations et les besoins qui en dérivent n’existaient pas, leur objet serait sans valeur. Mais les inclinations mêmes, comme sources du besoin, ont si peu une valeur absolue qui leur donne le droit d’être désirées pour elles-mêmes, que, bien plutôt, en être pleinement affranchi doit être le souhait universel de tout être raisonnable. Ainsi la valeur de tous les objets à acquérir par notre action est toujours conditionnelle. Les êtres dont l’existence dépend, à vrai dire, non pas de notre volonté, mais de la nature, , n’ont cependant, quand ce sont des êtres dépourvus de raison, qu’une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses ; au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, par ce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c’est-à-dire comme quelque chose qui par suite limite d’autant toute faculté d’agir comme bon nous semble (ce qui est objet de respect). Ce ne sont donc pas là des fins simplement subjectives, dont l’existence, comme effet de notre action, a une valeur pour nous : ce sont des fins objectives, c’est-à-dire des choses dont l’existence est une fin en soi-même, et même une fin telle qu’elle ne peut pas être remplacée par aucune autre, au service de laquelle les fins objectives devraient se mettre, simplement comme moyens. Sans cela, en effet, on ne pourrait trouver jamais rien qui ait une valeur absolue. Mais si toute valeur était conditionnelle, et par suite contingente, il serait complètement impossible de trouver pour la raison un principe suprême. »

Le commentaire :

Dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs Kant s’oppose à ce qu’il appelle la philosophie pratique populaire. Dans cette œuvre il est donc question de fonder une morale a priori, en dehors de l’expérience afin que les actions humaines puissent être morales de manière universelle. C’est ce que ne fait pas cette philosophie pratique populaire qui combine des concepts et se base sur l’expérience donnant lieu à une morale contingente, c’est-à-dire qui selon les situations peut donner lieu à des actions immorales bien qu’en conformité avec cette philosophie pratique populaire, cette morale du général. Grâce à la raison pure, cette faculté qu’a l’homme de légiférer de façon autonome, c’est-à-dire a priori, en dehors de l’expérience et dont les lois ont une portée universelle, Kant nous montre qu’une telle morale est possible. La force de ces lois de la raison pure dites aussi objectives s’affirme pour la volonté sous la forme de l’impératif, commandement de la raison sur la volonté. Et l’impératif le plus important est l’impératif catégorique. Ce dernier contraint la volonté à agir selon la loi objectives sans autre alternative, sans que la volonté ne puisse basculer du côté de l’influence de l’expérience que Kant nomme inclination, contingence ou encore mobile.
Ici, la possibilité d’une morale universelle, d’une métaphysique des mœurs est démontrée. Mais il est possible de s’interroger sur l’implication d’une telle démarche ? En quoi cette recherche d’une morale universelle est-elle importante et surtout comment est-elle possible dans le domaine de la raison pratique, dans nos actions ?
Le simple fait de considérer cette morale pratique populaire, basée sur l’expérience concernant notre façon d’agir par rapport à notre humanité nous montre qu’il est risqué de se fier à une telle morale, puisque celle-ci peut nous conduire à mal agir. C’est ce que nous montre cet extrait de la seconde section qui va permettre de démontrer non seulement la légitimité et la nécessité d’une morale a priori et donc de l’impératif catégorique mais surtout la manière dont cette démarche est possible, comment elle peut devenir pratique. Ceci écartera donc définitivement la philosophie pratique populaire comme guide de notre volonté, de nos actions et permettra de soutenir avec davantage de fermeté ces fondements a priori ou métaphysiques de la morale kantienne. Pour nous expliquer la nécessité d’une telle morale, Kant va nous montrer qu’elle permet la conservation de notre humanité même. Cela signifie que la morale a une implication déterminante dans la préservation de notre existence, c’est-à-dire de ce que nous sommes fondamentalement, notre essence. C’est ici que nous comprenons que l’enjeu est de taille puisque cette morale que Kant nous propose est aussi la garantie de notre essence même, notre existence d’humain capable de choisir ses actes selon une volonté propre. L’enjeu de cette morale est de fait l’humanité raisonnable dans son existence ainsi que sa liberté, liberté de choisir les principes de ses actions. Cette garantie constituera donc tout l’enjeu de l’extrait et la loi objective qui aura ce rôle est que « l’homme, et en général tout être raisonnable […] doit toujours être considéré en même temps comme fin. »
Pour prouver que cette loi qui est par là même sa thèse est en mesure de garantir la conservation, l’intégrité de notre existence d’humain, et plus largement d’être raisonnable, Kant commence par démontrer la nécessité de cette dernière en nous expliquant dans un approfondissement de distinctions comment il est possible est nécessaire de considérer tout être raisonnable comme une fin. Des lignes 1 à 9 il commence donc par montrer que les objets, les moyens, ont une valeur conditionnelle et qu’ils ne doivent pas altérer nos actions dans leur moralité, c’est-à-dire leur considération des êtres raisonnables comme fin. Ensuite, des lignes 9 à 14 il affine sa distinction en s’intéressant à la différence entre la nature de ce qui doit être considéré comme fin en soi et les moyen par une analyse de leur essence même, de leur nature. Enfin, des lignes 14 à 21, il précise encore sa démonstration par une mise en garde. Il ne faut pas qu’un être morale impose à un autre ses lois objectives car si elle sont universelles, elles doivent s’imposer à chacun des autres êtres raisonnables par nature, par raison. S’il y a besoin de l’imposer, c’est qu’elles ne sont pas universelles et donc morales. Il est donc nécessaire que cette raison soit autonome puisque c’est elle qui les produit. Elle ne peut donc être remplacée pour qu’une loi morale puisse être réellement universelle et donc pratique dans les actions de chaque être raisonnable.

Juste avant ce passage, Kant annonce qu’il va démontrer la possibilité d’une loi qui dans son application pratique, c’est-à-dire dans l’action peut être valable universellement, pour soi comme pour tous les êtres qui sont aussi dotés de raison. Pour ce faire, il va prendre un exemple fort, celui de l’homme. Il s’agit d’un exemple fort puisqu’il nous concerne directement et nous incite donc à nous intéresser à cette morale, pour rappeler qu’elle nous concerne tous et en premier lieu, puisqu’elle se présente comme garante de notre humanité, de notre autonomie. Ainsi, sa formulation d’introduction de la première ligne « Or je dis » est utilisée pour imposer sa thèse concernant cet enjeu important. Cette formulation semble ici servir à poser l’importance et l’étendue de la thèse par rapport à l’enjeu fondamental que sous tend la possibilité d’une telle morale non seulement pour soi mais pour tous les hommes et de façon universelle. Kant annonce donc en première partie de sa thèse que « l’homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi ». Ici, la notion d’existence est centrale. Elle relie l’homme en tant qu’un être qui possède la raison comme une faculté, faculté de devenir pratique, de devenir volonté propre. Et l’expression de cette faculté, de cet être est « une fin en soi ». L’homme est un être qui porte le principe de son existence en lui-même et seulement en lui même, grâce à sa raison qui lui permet de produire ses propres lois de manière a priori pour lui-même mais aussi pour tout autre être possédant cette raison qui légifère, la raison pure. L’existence de l’homme en tant que raison est donc autoréférente. C’est en cela dans un premier temps qu’il ne peut pas être considéré « simplement comme un moyen ». Car si tel est le cas, alors son existence dépendra d’autre chose, d’une raison extérieure à lui-même. L’homme ne sera alors plus véritablement un homme puisqu’il n’existera plus vraiment comme tel. Nous voyons ici la gravité des conséquences qu’une morale qui ne serait pas absolue pourrait entrainer. La morale populaire porte en elle la possibilité de faire de l’homme autre chose que lui-même, c’est-à-dire de le déshumaniser dans l’acte d’en faire un moyen, de nier sa liberté. C’est ce que nous expose Kant par la suite car un tel procédé de déshumanisation place l’homme du côté de l’expérience. Puisqu’il n’est plus une existence en soi donc absolue, son existence est de fait contingente et se situe alors dans l’expérience. Il faut aussi prendre en considération une précision importante que fait Kant quand il parle des hommes et « en générale de tout être raisonnable » (ligne 1). Ceci vient fortement appuyer ce que nous sommes en train de développer car Kant désigne si ce n’est définit l’homme en tant que raison et non en tant que corps. Ce n’est pas le corps qui constitue notre humanité mais notre raison car elle est le principe d’autonomie de la volonté, par suite de l’action et seulement à ce moment de notre corps. De fait, si on ne fait pas ou mal cette distinction, cela explique que d’autres raisons pratiques, d’autres « volontés » aient à présent la possibilité d’utiliser cet être comme un moyen puisque finalement réduit à son corps. L’exemple de l’esclavage nous montre bien le risque d’une telle considération d’un être raisonnable et par là la nécessité de cette thèse, c’est-à-dire de considérer cet être comme une fin, dans son autonomie. L’esclavage est la moyennisation très poussée et néfaste de tout être raisonnable et permet de saisir plus clairement encore l’enjeu de la démarche de Kant. Une fois déshumanisé, cet être à qui on a d’une certaine manière ôté ou nié la raison qui lui permettait de s’autodéterminer est soumis à des lois qui de fait ne sont plus les siennes, c’est-à-dire produit de sa raison mais des lois d’autres volontés. Ces volontés sont déjà immorales puisqu’ayant effectuées cette déshumanisation et peuvent ici agir selon leur penchant, inclination, selon leur bon vouloir subjectif, leur « gré » et non selon un bon vouloir objectif issu des lois universelle de la raison pure et donc morale. Ce caractère aléatoire et même immorale de la volonté peut donc conduire à l’esclavage qui serait clairement l’action immorale ou encore une infraction lourde de conséquences de l’impératif catégorique présenté par la thèse. Kant nous explique ensuite ce qui peut conduire à agir d’une telle sorte. Il apparaît un nouveau concept, celui d’ « action » à la ligne 2. Ce concept est très important ici car nous pouvons constater que la seule manière de saisir si ce n’est d’aborder quelqu’un, un autre être raisonnable c’est par son corps et plus largement de manière physique. Nous retrouvons cette distinction entre l’homme et l’être raisonnable. La raison est ce qui confère la propriété d’homme ou d’humain au corps. Mais ne dire qu’ « homme » c’est prendre le risque d’en faire un moyen par son corps car nous avons dit que l’humanité ne provenait pas du corps mais de la raison. C’est-à-dire que les hommes n’ont entre eux que des rapports physiques, donc de l’ordre de la contingence puisque l’on ne fait constamment que l’expérience sensible d’autrui. Et c’est cela qui peut nous pousser à utiliser autrui comme un moyen et non comme une fin, un être raisonnable et autonome. D’ailleurs cette considération est assez courante et voilà pourquoi il est essentiel d’insister sur le fait que lorsque l’on parle d’homme en tant qu’être humain on ne parle que de sa raison ; l’être humain est donc synonyme d’être raisonnable. Pour comprendre ce rapport d’une volonté à un autre homme, nous pouvons nous intéresser au monde du travail où l’homme est surtout considéré comme une force (la force de travail), que l’on cadre, calcul ou encore manœuvre selon des raisons extérieures à l’être raisonnable lui-même. Nous reconnaissons donc une certaine forme de déshumanisation (bien visible dans le travail à la chaîne ou l’homme en vient à être instrumentalisé), bien entendu moins forte que celle de l’esclavagisme . Mais rien qu’avec cet exemple, nous pouvons nous demander s’il est possible de réellement considérer cet autre être raisonnable comme une fin en tout temps et tout lieu, universellement. C’est d’ailleurs ce qu’ordonne la thèse de Kant ensuite, c’est-à-dire que l’homme, ce qu’on en a, son apparition en actes, doit donc être en ces actions considéré comme une fin. L’homme ne peut donc être réduit à ce qu’il fait, ses actions. Ainsi pour considérer l’homme comme fin il faut avoir cette même considération pour ses actes qui sont comme des reflets ou éclats de son être comme fin en soi.
Nous pouvons davantage expliquer ceci dans le domaine de la justice. Il s’agit d’y juger la moralité ou l’immoralité d’actes d’un être raisonnable. Si ses actes sont moraux, alors sa volonté sera laissée libre, libre de bien suivre sa raison, de poursuivre dans ses bons choix. Mais si les actes sont jugés immoraux c’est que la raison de cette être est insuffisante ou encore défaillante, il faut donc la prendre en charge, la rectifier par le biais de punitions, de condamnations dictées par une raison qui est extérieure à celle de l’être jugé coupable, c’est-à-dire la loi étatique. La question que l’on peut se poser ici est de savoir s’il est possible de trancher la culpabilité absolue d’un être raisonnable ? En d’autres termes, un être peut-il entièrement se réduire à ce qu’il fait, y compris dans la justice et la culpabilité qu’elle est en mesure de démontrer ? C’est pour cela que l’homme doit toujours être considéré comme une fin, y compris et surtout dans ses actions. Nous pouvons donc voir ici un refus de la peine de mort. Car cela revient à la pure condamnation des actes sans soucis de l’être, au sens de fin, l’être au delà même de ses actions, ce qui ne peut être identifié à ses actions. L’être n’est donc pas réductible aux actes qu’il commet, en tout cas pas entièrement. Ainsi nous sommes toujours plus que ce que nous faisons. Ne considérer que les actions amène à réduire la rationalité de l’être que l’on juge et donc à le déshumaniser. L’être humain, quelque soit ses actes est toujours humains par ce que doté de raison, au moins d’une possible moralité.
Revenons à notre exemple du travail à la lumière de ce qui vient d’être dit. Il faut non pas considérer l’homme comme une force de travail mais comme un potentiel, une raison autonome capable de se déterminer selon ses propres lois objectives. L’être est ce qui va s’exécuter dans l’action, prendre forme dans l’action. Nous pouvons donc comprendre le système éducatif et ses différents niveaux dans les domaines qui conduisent à l’acte. Avoir un niveau d’étude c’est avoir un certain statue d’être, d’être en capacité de faire, d’agir. Cela permet donc en partie de considérer l’homme comme fin et non comme moyen au travers des actions, ici de la force de travail dont il est possible d’avoir besoin. La thèse est donc non seulement énoncée et posée mais toute sa force et sa nécessité est exprimée. Ces deux exemples relativement simples nous en montre en outre toute la puissance mais aussi dans le même temps la complexité.
La thèse à présent posé, Kant va plus loin et s’intéresse au domaine de l’expérience qui pose tant problème à la pratique de sa morale a priori. Il se penche plus précisément sur « les objets des inclinations » aux lignes 4 et 5. L’objet des inclinations est ce qui nous pousse, cette force de détournement de la raison pratique, c’est le principe subjectif du désir appelé aussi mobile. Le mobile d’un crime par exemple est ce qui était bon pour soi à la condition d’agir d’une certaine façon, ici de tuer. Nous voyons plus encore l’importance d’une morale a priori car en comparaison de l’esclavagisme, nous pouvons dire qu’il s’agit là d’une déshumanisation totale si ce n’est radicale. Ce qui nous permet d’affirmer que le crime est l’acte immorale par excellence puisqu’il n’est pas possible de réduire la raison d’un être plus qu’en la supprimant dans sa possibilité même d’agir, de vouloir ou encore même d’être au sens d’existence, de raison. L’esclavage était en ce sens très immorale mais ne supprimait l’humanité que dans le traitement et le discours portés à d’autres êtres raisonnables par conditionnement total de leurs actes, de leurs corps. Ici, une limite semble être atteinte dans la moralité. C’est pour cela que ces mobiles « n’ont qu’une valeur conditionnelle », ligne 5. Car pour l’auteur de l’acte de meurtre, il était morale pour soi, pour elle, d’agir selon un mobile, ou pire si elle n’avait pas même conscience de la moralité ou non de son action, ce qui signifie que le mobile a pris un total contrôle de la raison de cet être. C’est pour cela que l’établissement d’une culpabilité pour des faits avérés est complexe. La responsabilité revient à établir le statue de la raison par rapport à la volonté. Était-ce la raison qui était insuffisante pour commander la volonté auquel cas la responsabilité est incertaine ou au contraire cette raison était forte de son commandement et la volonté a tout de même agit, c’est-à-dire en connaissance de cause ce qui dans ce cas-ci la rend responsable de son acte. Remarquons que c’est aussi sur cela que peuvent jouer les avocats pour défendre leurs clients coupables de mauvaises actions. L’implication judiciaire se présente donc comme vraiment importante et de fait puisque la justice est garante de la liberté.
Cet exemple nous a donc montré que le mobile n’est valable que pour soi, ce qui implique que pour un autre être raisonnable il peut avoir moins si ce n’est aucune valeur. Voilà en quoi la valeur des mobiles est conditionnelle, et l’on pourrait même dire contingente. Elle n’est de fait pas universelle et constitue de fortes chances ou au moins des risques d’agir selon une mauvaise volonté, de mauvais choix, agir immoralement. Kant nous explique ensuite que cette valeur est conditionnelle puisqu’elle se créer dans un rapport de la volonté entre l’objet de l’inclination et la raison qui commande. C’est en cela qu’il y a valeur, la valeur dépend de l’effet de « besoin » ou « d’inclination » que l’objet exerce sur notre volonté et de sa puissance par rapport à celle du commandement de la raison. Sans ce rapport de force, il est possible de dire qu’il n’y a pas de valeur, de norme, « leur objet serait sans valeur », ligne 6.
Kant distingue donc l’homme morale et l’homme immorale. L’homme immorale et celui qui n’est pas en mesure de reconnaître cette contingence, ce caractère instable et illégitime (« droit » ligne 7) de ces objets ou mobiles qui autrement dit « on si peut une valeur absolue ». L’homme morale en revanche est celui qui voit ce caractère contingent et qui suit les commandements dictés par sa raison. L’être raisonnable morale est donc celui qui est en mesure de faire de la norme une loi universelle puisqu’ayant aperçu cette valeur absolu de cette loi par comparaison avec la valeur toute relative du mobile. C’est en cela qu’on peut dire que celui qui voit ce caractère contingent est « affranchi », ligne 8, il est responsable. Sa raison est libre, elle est autonome et ne dépend de l’influence que de ses propres lois objectives. Il se considère donc comme une fin en soi puisque respectant son intégrité d’homme par des actes moraux envers lui mais aussi d’autres hommes, d’autres êtres raisonnables. Cette position morale d’autonomie de la raison pratique ou volonté doit, selon Kant, « être le souhait universel de tout être raisonnable ». L’impératif contenu dans la thèse devient de plus en plus pratique, de plus en plus précis en vue d’une action. En effet, pour considérer un être raisonnable comme fin, voilà comment il faut faire nous expose Kant. Il faut reconnaître l’illégitimité des mobiles et leur contingence par la lumière de notre raison qui nous permet de voir quelle doit être notre place d’autonomie, celle de la volonté pour que cette dernière agisse sans aucun trouble des mobiles, c’est-à-dire moralement. Et cette position implique une certaine forme de renoncement puisque même si le besoin produit par un objet sur sa raison est fort, il faut y renoncer pour que notre action soit morale objectivement et donc au détriment d’une morale subjective, du bienfait qu’aurait procuré l’objet par l’action immorale. L’être raisonnable qui agit le plus moralement qu’il soit possible le fait donc de manière désintéressée.

Nous venons donc d’en arriver à un être raisonnable dont la volonté serait correctement dirigée par les lois objectives de sa raison et qui de fait saurait reconnaître le caractère contingent et possiblement immorale des mobiles pour ses actions et donc renoncer à ses intérêts particuliers. Mais qu’en est-il de ce qui ne possède pas cette raison, des être qui ne sont pas raisonnables ? Quel est leur place par rapport à nous, être raisonnable, et qu’est ce que cela nous permet d’apprendre par rapport à nos particularités d’être raisonnables, d’êtres humains pour continuer à agit moralement ?

Déjà, Kant nous apprend que ces êtres n’ont pas de volonté et donc de raison puisque la volonté choisit entre ce que lui dicte la raison et les influences des inclinations. De fait ils ne trouvent et ne peuvent trouver leur principe d’existence en eux-même, leur raison, raison de vivre en eux-même. De fait elles le trouve en « la nature », ligne 10. Un être déterminé par la nature par essence n’est donc pas libre. La raison n’existe pas et ne conduit pas la volonté et donc ces actions libres. Il n’y a que des besoins et des inclinations qui eux-mêmes sont de l’ordre de l’expérience et donc de la nature. L’expérience est de l’ordre du physique et la science de la nature est la science physique. Les science physique mettent au jour des lois de la nature. De fait, tout être uniquement déterminé par ses besoins et ses inclinations est en réalité déterminé par la nature et ses lois. Ces êtres sans raison propre, sans autonomie ne peuvent donc plus être considérés comme des fins car il ne portent pas leur principe d’existence et d’autonomie en eux mais en dehors d’eux-même, dans la nature et ses lois. Par exemple, un animal de traite ne peut être considéré comme une fin en soi comme cela était possible pour l’être raisonnable qui travaillait car l’animal n’ayant pas de raison il peut être réduit à sa fonction, son potentiel physique, sa force de travail. Il s’agit donc d’un simple « moyen », ligne 11, qui dans ce cas a une valeur, une valeur « relative », ligne 11, puisqu’elle dépendra des besoins et des inclinations qu’elle créera sur d’autres volontés, d’autres être raisonnables. Ceci explique donc enfin pourquoi ces êtres que nous considérons comme des fins sont appelées des choses. Par déduction, les « être raisonnables », ligne 12 sont appelé des « personnes », ligne 12. Une distinction fondamentale vient ici d’être faite et elle explique davantage encore en quoi il ne faut pas considérer un être raisonnable comme moyen car cela reviendrait à en faire une chose. Nous ne sommes pas de simples choses, de simples corps comme le sont par exemple les animaux mais au contraire nous avons quelque chose de plus, quelque chose de capitale dans notre constitution, notre être, qui s’appelle la raison qui nous rend autonome comme « fins en soi », ligne 13, et fait de nous des hommes, des « natures » humaines, ligne 13, et non pas des animaux, des personnes et non pas des choses. Cette chose en plus c’est notre raison et ses lois, ce qui nous confère notre liberté.
Et c’est cette distinction qui doit définitivement nous faire renoncer à agir sans considérer les autres êtres raisonnables comme fin . C’est cette fin en soi qui « limite », ligne 14, mon action. Cette limite est de ne pas porter atteinte, de ne pas réduire cette fin en quelque moyen que ce soit, c’est à dire de ne pas réduire la plus petite partie de son humanité à un moyen pour satisfaire des besoins ou inclinations. Dès lors que nous effectuons la reconnaissance de cette distinction, nous ne pouvons plus choisir de mal agir par ce que nous avons un sentiment positif lorsque nous nous représentons la loi qui découle de cette distinction, c’est-à-dire le fait de ne pas considérer un être raisonnable autrement que comme une fin. Il est dès lors aussi bien nécessaire objectivement, c’est-à-dire pour tout être raisonnable que subjectivement, pour moi en tant qu’être raisonnable grâce à ce sentiment positif, d’agir en considérant tout homme et tout être raisonnable comme une fin en soi. Et ce sentiment qui permet la nécessité de cette considération est ce que Kant nomme « respect », ligne 14. Ce sentiment de respect provient de la représentation qu’une volonté se fait d’une lois objective et du sentiment positif qui en découle, comme une sorte d’aval personnel.

Enfin, pour que cet impératif catégorique soit complet dans sa pratique, Kant revient sur ce qui finalement était un problème de représentation des lois objectives comme action morale. Comment agir de façon particulière en se conformant à une loi universelle ? La réponse vient d’être trouvée et se trouve dans cette représentation subjective. Cependant, il reste encore un point capital dans l’application pratique de ces lois objectives qui commence par une précision concernant la valeur subjective et objective des fins, c’est-à-dire des autres êtres raisonnables pour agir en parfaite moralité, en parfait accord avec les commandements de la raison.

Kant ne vient pas de nous expliquer que cette valeur inconditionnelle que nous donnons aux fins en soi de ces être raisonnables vient du sentiment issu de la représentation de la loi objective mais justement de la loi objective elle-même. Cette « fin […] subjective », ligne 15, n’est qu’une reconnaissance de la valeur universelle et absolue de l’être raisonnable en tant que fin. Ne s’agissant que d’une connaissance seconde, d’une « re-connaissance » pour être encore plus précis, la « valeur » de cette « existence », lignes 15 et 16, ne vient pas de cette connaissance seconde mais de la connaissance première qui n’est autre que celle des « fins objectives », ligne 16. Il ne faut pas oublier que ce qui a permis en premier lieu de connaître la valeur inconditionnelle et universelle de l’être raisonnable en tant que fin fut la raison, productrice de lois objectives. Les lois objectives garantissent la considération et la préservation de l’être raisonnable en tant que tel, en tant que fin ou existence qui s’autoréfère. Et c’est seulement par suite qu’il est possible de se représenter cette loi et sa valeur positive pour soi. Cette valeur objective pour soi est la fin subjective. Ce sentiment positif envers cette loi est ce que Kant vient de nommer le respect mais le respect ne fait pas la valeur de cette existence en tant que fin, il n’est qu’un sentiment d’accord, une sorte d’aval subjectif envers la loi objective et de sa valeur objective pour l’être en tant que fin, valeur absolue et universelle que cette même loi met au jour en écartant tout ce qui pourrait appartenir à l’expérience.
Et si l’on reconnaît réellement cette fin objective « elle ne peut être remplacée par aucune autre », ligne 17, car la remplacer reviendrait à faire intervenir une raison qui n’est pas elle tant bien même qu’elle provienne d’un être raisonnable. Cela revient en même temps à reconnaître que nous sommes des personnes chacune unique et que ce caractère unique fait partie de notre humanité, de notre rationalité, de soi en tant que fin. C’est en cela qu’aucun être raisonnable, qu’aucune fin ne peut être remplacée. Ce serait un acte immorale, une déshumanisation telle que nous l’avons vu dans l’esclavage ou la travaille à la chaîne où les hommes pouvaient être remplacé par d’autre et n’avait pas de caractère unique et donc pas de personnalité.
Par nos actions morales telles qu’elles viennent de nous être dictées, nous sommes de fait le « moyen » servant l’autonomie des être raisonnables, « des fins objectives », ligne 18. Nous sommes des moyens par nos actions et actions issues de notre volonté indépendante de toute autre. Nous ne sommes des moyens que par nous même et par nos actions. Il ne faut pas comprendre cela comme une moyennisation de notre être, notre fin. Ce sont nos actions issues de l’autonomie de notre raison qui permet de conserver et garantir l’autonomie des fins objectives auxquelles ces actions sont adressées.
Ainsi ce commandant universel des actions de chaque être raisonnable n’est possible que dans l’existence et la reconnaissance de cette « valeur absolue », ligne 19, qui n’est rien d’autre que l’autonomie totale de chaque être raisonnable comme condition de son existence propre, de son humanité en tant que raison autonome. Autrement dit, pour trouver un principe morale universel pour l’action, il faut bien qu’il y ait aussi du côté de l’objet des actions un caractère universel qui n’est autre que cette « valeur absolue », cette raison comme fin portant en elle et par elle-même son principe d’être. Si « toute valeur était conditionnelle », ligne 19, c’est-à-dire si la valeur ne dépendait que de soi et de son sentiment, de son respect ou non qui peut être contingent par l’influence qu’il subit de la part des mobiles et des besoins, cette loi objective, ce commandement de la volonté par la « raison », ligne 20, ne pourrait faire de nos actions des actions morales. Pour cela, il faut aussi quelque chose d’universel du côté de l’action, une « valeur absolue » comme pour produire une correspondance entre ce qu’ordonne la raison et son application pratique dans l’action pour créer un fil directeur solide que notre volonté ne pourrait pas manquer. Et c’est cela que fait la volonté qui est la raison pratique, elle voit s’il y a ce que nous appelons correspondance. Si elle y est effectivement, elle reconnaît la loi comme bonne, en cas contraire elle ne la reconnaît pas comme tel et ne fais pas le choix de lui obéir. Il était donc nécessaire de trouver dans le champs de l’action quelque chose qui soit en quelque sorte compatible avec la loi objective, un caractère universel commun. Ce caractère du côté de l’action se trouve dans cette « valeur absolue » de l’être raisonnable en tant que fin. La raison, la loi objective a priori vient donc de trouver une moyen de se réaliser dans les actes qui sont de fait moraux, c’est-à-dire « un principe pratique suprême », ligne 21.

Notre enjeu est donc résolue. Car de prima bord, ce que nous venons de mettre au jour peut paraître évident car nous nous reconnaissons tous comme des être humains. La question était donc de savoir si nous le faisions réellement, de façon morale et si cela était réellement possible en pratique dans nos actions. Autrement dit, est ce que nous nous considérons comme des hommes par le corps, comme moyen de travail ou autres assouvissements de besoins ou inclinations ou comme valeur absolue d’être raisonnable et libre ? Nous venons de trouver ici la réponse. Il faut en premier lieu considérer l’homme dans son autonomie, sa rationalité propre c’est-à-dire comme une fin en soi pour ensuite faire de même avec son corps, c’est-à-dire agir moralement.
Ceci amènera donc Kant à la formulation de sa première maxime qui est capitale dans sa démarche pour trouver dans ses actions un principe de moralité universelle et surtout universalisable. Cette maxime est l’expression d’un impératif catégorique et ordonne d’agir « de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». Cette maxime et nous pouvons le remarquer n’est que l’expression synthétique, une formulation de que Kant vient de nous démontrer, c’est-à-dire une application pratique de sa morale a priori.

Une réflexion sur “Philopure… Commentaire : Kant et la morale

  1. 11/20 « Des idées fixes, un effort de réflexion personnelle. Vous avez cependant dévié du texte, paradoxalement par soucis de précision : Cf Sur le rapport raison/corps, morale/justice… Certains termes peu approfondis (« personne »…) et des passages confus. Dans l’ensemble, c’est néanmoins assez éclairant. »

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