PHILOPURE

PHILOPURE : Commentaire : Schopenhauer, « Essai sur le libre arbitre », pp 84-86 : « A quel point nous ne sommes libre que de nous soumettre à la nécessité »

Pour une lecture préliminaire, vous trouverez le texte à la fin du commentaire.

Pour Schopenhauer, le monde est l’expression d’une volonté unique, immuable,irrationnelle et répétitive. Et telle que nous le percevons le monde est une représentation. Par nos facultés cognitives, nous savons que ce monde est déterminé, que tout y est soumis à la nécessité. Nous sommes ainsi amenés à nous demander si la connaissance nous permet de vouloir par nous-même, de nous extraire de la détermination du monde, c’est-à-dire de pouvoir choisir librement. C’est ce à quoi répond Schopenhauer dans son Essai sur le libre arbitre : « Le libre arbitre peut-il être démontré par le témoignage de la conscience de soi? ». Pour lui, vouloir est l’expression de la nécessité de la volonté telle que nous venons de la définir, c’est sa manifestation dans ce monde causal. De fait, nous sommes l’expression de cette volonté dans ce monde. Il n’y a pas de libre arbitre, il n’y a que des phénomènes formant des chaînes causales.

Ainsi, des pages 84 à 86 de cette œuvre, Schopenhauer critique le libre arbitre en se basant sur une définition phénoménale de l’homme. Il défend ici l’idée que l’homme est soumis à la causalité bien qu’il puisse la saisir, que ce soit par l’expérience ou en dehors de l’expérience, a priori. Toute la difficulté de cette thèse tient au prima de l’expérience sur notre vision du monde et de sa causalité. Il va falloir dépasser l’illusion et l’aveuglement de ce prima tout en destituant le libre arbitre. L’enjeu est donc de pouvoir voir, de pouvoir saisir ce que nous sommes réellement par rapport à ce monde, de découvrir la vérité de notre existence, c’est-à-dire « la » volonté.
La première partie de ce passage, des lignes 1 à 25, consiste à définir l’homme en tant que phénomène soumis à la loi de causalité. En s’appuyant sur la raison, il exposera le processus causal permettant cette définition.
Il va ensuite être question de s’intéresser à ce qui conduit à une mauvaise appréciation du monde et de la place que nous y avons des lignes 25 à 40. La raison montrera alors l’erreur de l’intellect dans sa compréhension de l’homme par rapport à sa faculté de connaître la détermination du monde. Ceci appuiera davantage encore la thèse selon laquelle nous sommes absolument déterminés.
Nous en viendront enfin au libre arbitre, lui-même construit sur cette erreur de jugement, des lignes 41 à 65. Cette liberté de la volonté sera ainsi démontée à sa base, puisqu’elle ne se fonde sur rien si ce n’est sur une erreur, une illusion. Cette tabula rasa du libre arbitre introduira un nouveau problème, celui de notre capacité à dépasser cette erreur, à recouvrer la vue, celle de la raison ou encore à savoir reconnaître que nous n’avons aucune supériorité et aucun privilège dans ce monde, entendu comme celui de « la » volonté.

Schopenhauer commence par une définition de la loi de causalité qui est le fondement de la science. Celle-ci concerne « l’homme » (ligne 1) en tant que sujet voulant puisqu’il s’agit ici d’une critique du libre arbitre c’est-à-dire d’une liberté de la volonté. De ce fait, elle concerne aussi bien l’homme que ce sur quoi porte sa volonté ou ce à quoi elle a affaire dès lors qu’elle se manifeste, c’est-à-dire « tous les objets de l’expérience » (lignes 1 et 2). L’homme et les objets sur lesquels elle s’exerce, les objets de l’expérience sont considérés comme des « phénomène(s) » qui dans chaque manifestation particulière sont « dans l’espace et dans le temps » (lignes 2 et 3).
Avant de s’intéresser à ces deux conditions ou déterminations phénoménales, nous allons nous arrêter sur ce terme même de phénomène. Le phénomène est ce qui apparaît en tant qu’effet d’une cause ou encore il s’agit de l’étant, de la façon qu’à l’être de se manifester. Il est assez facile de comprendre en quoi les objets de l’expérience sont considérés comme des phénomènes. Ces objets apparaissent sous l’effet d’une cause, qu’il s’agisse de sa volonté de faire apparaître l’objet dans l’acte de faire l’expérience ou d’une cause extérieure à notre volonté qui nous le fait apparaître dans une expérience plus passive.
Cependant, considérer l’homme comme un phénomène et en ces termes n’est peut-être pas aussi simple. Nous pouvons cependant considérer que l’acte de vouloir dans l’action humaine, c’est-à-dire la manière dont la volonté de l’homme se manifeste, constitue sa définition phénoménale. En d’autres termes, l’homme est un phénomène comme les autres en tant qu’il se manifeste dans l’action c’est-à-dire dans ses expériences avec et parmi d’autres phénomènes.
Ainsi, l’espace et le temps sont ce qui détermine et conditionne toute manifestation phénoménale. Nous retrouvons là non seulement un des piliers fondateurs de la science mais aussi un point central si ce n’est essentiel de la pensée de Kant. Il y a dans ce texte un héritage prégnant de la pensée kantienne, dont Schopenhauer semble ici conserver la loi de causalité comme fondement de sa critique du libre arbitre. De ce fait, nous pouvons remarquer que l’expérience et donc la science qui s’y fonde, tient une place première dans la construction de cette critique de la liberté de la volonté.
La loi de causalité est ce qui rend possible toute manifestation phénoménale. Autrement dit, pour qu’il y ait possibilité d’apparition d’un phénomène, il faut nécessairement que cela se produise dans la durée et dans l’espace. En dehors de ces deux conditions, il ne peut y avoir de phénomène possible. Et puisque l’expérience est celle de phénomènes tels que les objets, objets d’expérience, la loi de causalité pose aussi et dans le même temps les conditions de possibilité de l’expérience. C’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir d’expérience possible en dehors de l’espace et du temps. Nous retrouvons donc bien l’empreinte kantienne dans cette définition de la loi de causalité. En outre et cette précision est d’une grande importance, cette loi de causalité n’a de puissance ou « vaut », c’est-à-dire ne peut être considérée comme vraie que de manière « a priori » (ligne 3). Cette expression kantienne signifie que cette condition causale doit à la fois être universel et nécessaire, c’est-à-dire de manière absolue. Cette loi de causalité relève donc de l’absolue nécessité et est universelle, c’est-à-dire qu’elle dépasse toutes les particularités phénoménales dont il nous est possible de faire l’expérience. Ainsi, nous pouvons comprendre pourquoi cette loi de causalité « ne souffre pas d’exception » (lignes 4 et 5). C’est à ce point de la définition que Schopenhauer diverge de celle de Kant. Il ne s’agit pas pour l’homme de connaître cette loi afin d’accroître ou de faire un meilleur usage de sa liberté. A l’opposé de Kant cette fois, Schopenhauer va ici nous montrer que l’homme n’est pas libre de vouloir, qu’il est totalement déterminé. L’ « homme » est un phénomène, de fait il n’échappe pas à cette loi de causalité et donc à son caractère universel et nécessaire. L’homme « doit aussi être soumis à cette loi » (ligne 5) sinon il ne peut pas être, c’est-à-dire qu’il ne peut se manifester de manière phénoménale. Dès lors que l’homme est, il est dans une apparition phénoménale déterminée par cette loi de causalité absolue.
Kant démontre l’existence de cette loi et notre capacité à la connaître avec la « raison pure a priori » (ligne 6). Cette raison reconnaît la validité et l’effectivité nécessaire de cette loi de causalité. Schopenhauer présente donc cette définition kantienne comme vraie, c’est une « vérité » sûre et fondée sur des caractères de nécessité et d’universalité. Cette « raison pure » est ce qui fournit les principes permettant de connaître quelque chose « a priori », c’est-à-dire en dehors de toute expérience. Schopenhauer reconnaît la puissance de ce concept kantien qui permet de démontrer la loi de causalité en dehors de l’expérience. Cette loi est donc valable en dehors de l’expérience mais elle doit aussi pouvoir s’observer, se constater ou encore se vérifier en elle, c’est-à-dire dans l’effectivité. C’est-à-dire qu’il doit y avoir une « analogie » (ligne 7), une identité de rapports ou une corrélation entre cette possibilité a priori d’apparition du phénomène et la manière effective dont il se produit dans ses particularités phénoménales, c’est-à-dire « dans toute la nature » (ligne 7 et 8). Et nous pouvons constater dans ce domaine de l’effectivité que rien n’échappe à cette vérité, à cette loi de causalité. Toute expérience obéit à la loi de causalité puisque cette loi, rappelons-le, est la condition nécessaire et universelle de tout phénomène et de toute expérience. Le rapport de la loi de causalité au phénomène et le rapport de l’expérience à sa cause est donc identique, cette loi se vérifie aussi dans le champs de l’expérience. Et non seulement il est possible de le constater dans « la nature », c’est-à-dire autour de nous mais aussi en nous, dans notre propre conscience ou encore dans le cadre de nos expériences individuelles « de tous les jours » et « à chaque instant » (lignes 8 et 9). Cela signifie que chaque particularité phénoménale, de quelque façon que ce soit est la manifestation de cette loi de causalité. De fait, puisque nous sommes en constante manifestation phénoménale, que nous avons un corps qui a des sensations « en chaque instant » au moins de manière passive, il ne nous est jamais donné de ne pas constater ce corrélat causal. Schopenhauer insiste donc beaucoup sur la puissance et la portée de cette vérité sur nous, sur tout homme et sur tout objet phénoménale.
Cependant, l’expérience telle que nous venons de la décrire au travers de cette analogie n’est pas de l’ordre de l’évidence. C’est-à-dire que le phénomène n’est pas une apparition claire, manifeste et immédiate de cette loi de causalité. Elle n’est que ce qui permet de déceler cette loi, elle en porte la marque mais ne la présente pas en tant que telle puisque cette loi est a priori, en dehors de l’expérience en tant que condition de cette dernière.
De fait, si on ne reconnaît pas la marque de cette causalité, il est facile de se perdre dans la multiplicité des apparitions phénoménales, nous ne repérons pas la chaîne causale qui a permis ou rendu possible l’expérience qu’il nous est donné de faire dans l’immédiat, dans « l’instant ». Ainsi nous pourrions nous laisser « tromper » (ligne 9) par ce manque de discernement et ainsi nous dire que l’expérience que nous sommes en train de faire n’est pas causée dans le cadre de cette loi. Nous pouvons ici commencer à comprendre ce sur quoi se fonde le concept de libre arbitre. Puisque le phénomène ou l’expérience qui se manifeste n’apparait pas comme évidemment nécessaire, qu’il n’a pas de lien apparent ou saisissable de causalité, alors il est possible de considérer que rien n’avait déterminé ce phénomène à être ainsi, tel qu’il nous est apparu. Il semble alors bien plus être issue de la contingence puisque le phénomène semblait ne pas avoir été déterminé ou encore qu’il aurait pu ne pas être ou être autrement. Voilà en quoi « l’apparence » (ligne 10), ou la manière qu’à le phénomène de se manifester dans l’expérience peut nous induire en erreur, nous « tromper ». C’est pourquoi Schopenhauer parle d’ « illusion » (ligne 10). Le phénomène tel qu’il nous apparaît peut nous tromper en cela que son lien causal tel qu’il a été défini ne relève pas de l’évidence. Ce lien peut donc être difficilement discernable et nous tromper en ce sens où il peut conduire à une mauvaise appréciation de ses conditions d’apparition et donc à une erreur de jugement.
Il convient donc de d’intéresser à ce qui, dans l’apparition phénoménale est à l’origine de cette erreur, de cette « illusion ». Schopenhauer nous présente donc le processus qui conduit à cette confusion. Il présente ainsi l’évolution des « êtres de la nature » (ligne 11). Cette évolution se fait par étape, « de degré en degré » (ligne 11 et 12) dans une progression. Nous pouvons distinguer ce qui est de l’ordre de la matière inerte tel que le minéral, puis le végétal, l’animal et l’homme. Chaque degré acquiert ainsi quelque chose de plus que le précédent. Le végétal est vivant, il est plus que de la simple matière. L’animal se déplace pour éviter les contraintes de son environnement et l’homme pense pour connaître ce même environnement, prévoir ses contraintes et agir dessus. C’est en cela qu’il y a une élévation, en « s’élevant » (ligne 11). Ce progrès évolutif se caractérise aussi par une complexification, « de plus en plus compliqués » (lignes 12). Par exemple, nous pouvons faire une hiérarchie simple entre le végétal, l’animal et l’humain pour voir cette complexification. Le végétal a une constitution assez simple comparée à l’animal qui lui est organisé, il possède un organisme et l’homme lui en plus de cela est réfléchit, justement par une complexification de son cerveau. Puisqu’il s’agit de déceler ce qui dans le phénomène et l’expérience que nous en faisons est source d’illusion, nous nous intéressons ici à l’évolution et la complexification de la « réceptivité » (ligne 13). Ce terme est ici choisit pour recouvrir tous « les êtres de la nature ». Par ce que si nous avions choisit le terme de sensation, par exemple, nous aurions été restreint aux êtres pourvues de sensibilité dans notre analyse de ce processus, c’est-à-dire de ce qui est de l’ordre des cinq sens. De fait, la sensibilité ne concerne pas les végétaux ou encore la matière inerte puisque ceux-ci n’entendent pas, ne voient pas, ne touchent pas, ne goutent pas et ne possèdent pas d’odorat. C’est pourquoi le mot de réceptivité convient le mieux dans ce contexte. Il désigne la façon de recevoir les manifestations phénoménales dans toute leur diversité. De fait, cette réceptivité est d’ordre « mécanique » (ligne 13) au plus bas degré d’évolution de ces êtres de la nature. C’est-à-dire qu’il s’agit là de phénomènes purement physiques tels que la transmission de vitesse, de chaleur et de tout ce qui est de l’ordre de la matière inerte. Cette réceptivité par palier se fait « graduellement », sans a coup marqué. Schopenhauer insiste sur la difficulté que nous pouvons avoir à distinguer certains stades importants de cette évolution sans pour autant penser qu’il y a eu des étapes distinctes et bien marquées que nous pourrions hiérarchiser. C’est-à-dire que bien qu’il y ait eu des stades, des grades, il n’y a cependant pas eu de saut, de bond en avant. Si nous ne faisons pas cette distinction nous pouvons là encore être induit en erreur. Car en pensant l’évolution en terme d’étapes distinctes et hiérarchisées, nous pourrions être amenés à penser que nous avons dépassé la réceptivité en tant que telle, c’est-à-dire dans son caractère strictement déterminé. Nous pourrions penser que l’homme a dépassé cet état, s’en est affranchis. De fait, il serait au dessus des conditions de possibilité de cette réceptivité, de l’expérience. Nous penserions alors à tort que nous ne sommes pas simplement soumis aux conditions causales de l’expérience, que nous sommes affranchis de la loi de causalité, que nous sommes libre. Connaître cette causalité ce n’est pas se donner les moyens d’agir librement, en dépit des lois de la nécessité. Ce serait là l’élaboration d’une liberté de la volonté, la construction d’un libre arbitre.
Or pour Schopenhauer il n’en est rien. Il poursuit donc son analyse de ce processus d’évolution de la réceptivité et passe à une réceptivité « chimique » (ligne 14). Il s’agit ici des plantes dont l’interaction avec le milieu extérieur, les autres phénomènes, se fait par des réactions chimiques. Nous pouvons nous référer à la photo-synthèse qui est la fabrication de dioxyde de carbone sous l’action du soleil. Ou encore, les plantes vivent en prélevant des éléments chimiques dans le sol tels que les ions M, P ou K. Schopenhauer n’est pas précis quant au développement des étapes par ce que les exemples sont très riches et sont assez faciles à tirer de nos expériences individuelles pour comprendre et illustrer le processus qu’il présente.
À partir de ce degré chimique, cela explique pourquoi Schopenhauer en vient rapidement à ce qui nous intéresse ici, la raison de l’homme ou « la réceptivité intellectuelle et rationnelle » (ligne 16). C’est pourquoi il fait une énumération rapide en poursuivant avec la réceptivité « électrique » qui se rattache assez vite à la réceptivité « excitable sensible » (ligne 15). La réceptivité électrique caractérise la transmission nerveuse et donc la présence d’un cerveau. Nous sommes donc au stade de l’animal. C’est pourquoi ce degré est directement lié à la réception « excitable sensible ». Dès lors qu’il y a capacité de réceptivité électrique, il y a possibilité de stimuli, d’excitabilité. C’est alors que cette excitabilité peut être définit comme une sensation. La sensation est une excitation, une stimulation nerveuse ou électrique provenant du milieu extérieur pour atteindre le cerveau ou centre nerveux qui, en traitant les signaux électriques traduit l’information extérieure.
Suite à cette réceptivité animale ou sensible, nous en venons à celle qui dans ce processus permet de comprendre le caractère illusoire des manifestations phénoménales. Schopenhauer développe cette fois la réceptivité « intellectuelle et rationnelle » avec plus de précision. Il précise donc que cette élévation, ce progrès ou encore cette « gradation » (lignes 17 et 18) du processus d’évolution s’accompagne en même temps de ce qu’il appelle « la nature des causes influentes » (lignes 16 et 17). Dans le processus tel qu’il vient d’être décrit, ce que Schopenhauer nomme « nature des causes influentes » correspond aux principes physiques de force ou de vitesse dans le degré de réceptivité mécanique, au soleil pour les plantes et leur réceptivité chimique qui provoquera le phénomène de photo-synthèse, et qui par évaporation de l’eau des feuille créera une force de succion qui atteindra les racines, ces dernières absorbant les ions M P et K en même temps que l’eau du sol. En parallèle de cette évolution graduelle, il est donc possible d’observer dans ce processus cette même évolution pour les « causes influentes ». Dans le degré mécanique, cette cause accompagne son effet, elle est extérieure ou doit au moins être en contact avec le phénomène qu’elle manifeste. Pour les plantes, la « cause influente » est en surface et dans l’environnement moins immédiat du phénomène, ici de photo-synthèse. Pour les plantes nous voyons bien cette élévation. Le soleil est haut dans le ciel pour provoquer cette réaction chimique de photo-synthèse. Alors qu’une pierre qui tombe entre en contact avec une autre pierre qui tombe à son tour en recevant la force de la première. Pour ce degré inférieur aux plantes qu’est ici la pierre, nous remarquons que la cause influente est très proche du phénomène provoqué, elle n’est pas très élevée, c’est-à-dire que la première pierre est au même niveau, est égale à la seconde, à l’effet qu’elle produira. Pour les animaux, la « cause influente » est toujours dans l’environnement immédiat ou au moins proche. Le fait qu’ils aient des sensations élève la « cause influente » en cela qu’elle n’est plus immédiate, elle n’est plus nécessairement en contact direct avec l’animal. Par exemple un chien peut voir un os et de fait s’en approcher. La cause est moins direct, l’os n’a pas directement agit sur le chien.
Avant de nous intéresser à cette réceptivité « intellectuelle et rationnelle », nous allons d’abord nous attacher à cette expression de « causes influentes » (ligne 17). Bien que nous puissions comprendre cette élévation parallèle par les exemples que nous avons exposé, le fait de nous y intéresser tout particulièrement dans le cadre de l’homme ajoute quelque chose d’important. Car par « causes influentes » nous serions tenté d’entendre l’expression de « causes premières ». Or pour Schopenhauer ce terme n’aurait sûrement pas le même sens. Concernant ces « causes premières », il s’agirait pour lui de « la » Volonté en tant que détermination absolue, ce qui est transcendant à tout phénomène. Les « causes influentes » ne peuvent donc pas être considérées comme des causes premières, ce serait une confusion si ce n’est une erreur fondamentale dans la compréhension de la pensée de Schopenhauer. Les « causes influentes » désignent ainsi bien plus la volonté en tant qu’elle se manifeste et se détermine déjà dans le phénomène. C’est aussi ce qui permet de comprendre en quoi la « nature » de « ces causes influentes » est bien plus une détermination particulière, un point d’origine par rapport au phénomène, la manière dont une cause elle-même phénoménale produit un phénomène. Car s’il s’agissait de la nature en tant qu’essence ou encore Volonté, nous ne pourrions pas comprendre en quoi il y a gradation ou évolution puisque la Volonté pour Schopenhauer est en dehors de toute particularité phénoménale, elle est une, immuable, aveugle, répétitive et irrationnelle. En cela surtout qu’elle est une, elle ne peut se hiérarchiser en degrés et donc évoluer tel que ce processus d’élévation de la réceptivité nous le présente. La « nature » est donc déjà de l’ordre de l’objectivation phénoménale, ce qui cause le phénomène. Voilà en quoi cette précision sur « la nature de ces causes influentes » était importante. Nous allons à présent en venir à l’aboutissement de ce processus, la réceptivité « intellectuelle et rationnelle » (ligne 16).
Cette réceptivité, la plus haute est celle de l’homme en tant qu’il est le degré supérieur à l’animal. Comme nous l’avons précisé, cette supériorité ne doit pas laisser entendre celle d’une libération envers cette détermination causale. Il s’agit de cette élévation de « la nature des causes influentes », cette détermination de la complexification de la réceptivité. L’homme n’est pas soumis à son seul présent. Par exemple et c’est ce que le terme kantien de « raison pure a priori » nous permet de comprendre, il peut repérer cette loi de causalité et dépasser le présent en prévoyant ce qu’il va se passer dans le futur. Ceci est aussi permis par ses faculté de mémoire, de réflexion et de tout ce qui est de l’ordre de son intellect. Son « intellect » est ce qui lui permet de connaître les phénomènes par sa raison, mais toujours dans le cadre de l’espace et du temps. Par la raison, l’intellect peut donc s’élever à une forme d’universalité, celle de l’ « a priori ». C’est-à-dire que bien que l’homme ait la faculté de dépasser son simple présent et de s’élever à l’universalité, il ne peut le faire qu’en étant soumis à cette loi, même s’il est capable de la déceler et de la comprendre. C’est ce que Kant exprime dans cette expression de « raison pure ». C’est une raison dont les conditions de l’acte de connaître sont les mêmes que pour celles des autres phénomènes, c’est-à-dire a priori.
C’est ainsi que l’homme peut connaître tout ce qui est soumis à cette loi, tous les phénomènes et agir en connaissance de cause. De fait, il est de plus en plus difficile de voir en quoi nous sommes déterminés puisque nous connaissons cette détermination et croyons alors la maîtriser en agissant à ses dépends, « les causes paraissent de moins en moins palpables et matérielles » (lignes 20 et 21). Pour la matière inerte, les végétaux et les animaux « les causes influentes » se constatait dans le phénomène même, à sa surface ou dans son environnement. En cela les causes étaient « palpables », elles s’observaient directement puisqu’elles étaient de l’ordre de l’expérience immédiate et de fait « matérielle ». La mécanique, la chimie et l’électricité sont de l’ordre du « matérielle », de la matière encrée dans l’instantanéité du présent. Mais pour la réceptivité de l’homme il ne s’agit pas de cela, les causes qui le déterminent s’éloignent et se perdent dans l’abstraction. Nous savons par exemple que nous appartenons à une culture, à une histoire, que nous nous insérons dans un processus complexe, à tel point que nous ne sommes plus en mesure de saisir la totalité des causes qui nous ont déterminé à être dans le présent et qui nous détermineront à être dans le futur. Ces causes finissent par ne plus être « visible à l’œil » (ligne 22) puisque totalement abstraites. Cette « vision » n’est plus de l’ordre de la sensation, du caractère palpable et matérielle de la cause, elle est de l’ordre de l’abstraction. Nous ne pouvons plus nous représenter ce qui nous détermine, nous n’en avons pas de vision claire puisque cette vision ne peut embrasser la totalité de la chaîne causale qui nous détermine à être dans le présent et pour le futur.
Ce n’est pas pour autant qu’il ne nous est pas possible de percevoir cette chaîne causale, même si nous n’en voyons pas chaque maillon, nous pouvons toujours savoir qu’elle existe, nous pouvons la présupposer même s’il nous est impossible d’en avoir une vision complète. C’est en cela qu’il y a une distinction entre la réceptivité intellectuelle et rationnelle. La réceptivité intellectuelle est de l’ordre de la vision sensible, elle cherche ce qui est palpable dans une certaine instantanéité, celle de l’expérience. Sa vision est donc celle à qui la causalité abstraite est invisible « à l’œil » et la réceptivité rationnelle est celle qui perçoit ou « présuppose » (ligne 23) cette chaîne de liens, celle qui s’élève avec ces causes. Cette réceptivité est donc celle de la « raison pure a priori » qui connait dans le cadre de cette nécessité et de cette universalité, c’est-à-dire qui reconnaît la nécessité et l’universalité de cette loi causale. C’est en cela que cette présupposition se fait « avec une confiance inébranlable », car une fois que l’on dépasse la vision de l’intellect pour voir en raison, par l’ exercice ou l’examen critique, nous savons de manière absolue que tout est déterminé nécessairement et de manière universelle. C’est ce que nous avons fait jusqu’ici et cela illustre davantage encore notre propos. Nous sommes ici au point où se joue à la fois la mauvaise construction du libre arbitre et la critique de ce qui est en fait une illusion de libre arbitre comme produit erroné de l’intellect et de sa vision. Si nous nous laissons dépasser par la multitude des causes qui nous déterminent, nous tombons dans l’erreur de croire que nous pouvons les sélectionner, les maîtriser, les dépasser et ainsi nous en affranchir pour agir librement, pour vouloir librement. Voici la construction du libre arbitre. Mais c’est en réalité un mauvais usage de son intellect, saisit et vision tournée vers l’expérience qu’il ne faut pas confondre avec sa faculté rationnelle en tant que recherche ou examen a priori, c’est-à-dire au dessus de l’expérience et de sa grande multitude. La raison est ce qui permet de dépasser l’erreur de jugement auquel peut être conduit l’intellect, notamment et comme nous l’avons fait en démontrant de manière a priori la puissance de la loi de causalité sur tout phénomène et donc sur l’homme puisque lui aussi est un phénomène. C’est ce qui par suite seulement peut aussi se démontrer ou se constater dans toutes les expériences qui nous sont données de faire. Ainsi, il ne s’agit pas pour la raison de saisir et de démontrer chaque détermination causale qui nous a conduit à être tel que nous apparaissons en tant que phénomène mais bien plutôt de prouver que tout ce qui est de l’ordre du phénomène, nous y compris est soumis à la loi de causalité en dehors de toute expérience, c’est-à-dire a priori. La raison s’élève ainsi hors de l’expérience pour dépasser la multitude phénoménale et démontre de façon universelle et nécessaire que nous sommes déterminés par la loi de causalité, qu’elles que soient nos manières de nous manifester en tant que phénomène ou de recevoir les manifestations d’autres phénomènes, par exemple et en dépit du caractère impalpable et non visuel du lien causal. C’est-à-dire que tant bien même qu’il ne nous est pas possible d’embrasser tous ces liens causaux, nous pouvons en « découvrir » l’existence, celle de la vérité de cette loi de causalité par ces « recherches suffisantes » (ligne 25) que nous venons d’effectuer dans l’analyse de ce processus d’évolution. L’exercice de « la raison pure a priori » est donc suffisante pour découvrir ce lien, cette marque de la loi de causalité en toute apparition phénoménale dès lors que nous prouvons que l’homme reste un phénomène comme les autres.

Nous venons donc de démontrer en quoi il y a illusion. C’est l’intellect qui est dépassé par la multitude causale. L’examen ou la recherche de la raison permet de démontrer notre attachement à la loi de causalité de façon a priori. Dans cette deuxième partie du texte, il va ainsi être question de prouver par l’effectivité, c’est-à-dire conformément au rapport d’analogie que nous avons expliqué, ce que la raison vient de prouver de façon a priori. Schopenhauer va ici montrer que l’intellect n’est pas en mesure de juger notre volonté, qu’elle est dans l’erreur de la considérer comme libre. Il va donc démontrer que nos causes influentes abstraites sont inscrites dans les déterminations de la loi de causalité au même titre que tout autre phénomène.

Les « causes agissantes » que nous avons qualifié d’abstraites sont donc de « simples pensées ». Schopenhauer les qualifie ici de « simples » pour insister sur le fait qu’elle n’ont pas de supériorité ontologique ou de quelconque privilège, qu’elles sont aussi des phénomènes comme les autres, c’est-à-dire qu’elles sont aussi soumises à la loi de causalité. Les pensées sont dans l’espace et dans le temps. Autrement dit, elles ont nécessairement besoin d’un cerveau comme lieu ou espace pour être produites et d’une durée pour s’enchaîner, elles apparaissent dans le temps, le temps d’une pensée. Et ces pensées sont en interaction et contraires les unes aux autres, elles « se trouvent en lutte avec d’autres pensées » (ligne 27). Par exemple, si je pense à travailler quand je suis en chemin pour rentrer chez moi, je peux aussi penser à me divertir, ou à me rendre chez une amie, à préparer à manger ou encore à dormir puisque je suis fatigué. Et la pensée qui aura le plus d’importance, « la plus puissante » (ligne 28) sera celle qui prendra le dessus sur toutes les autres en tant que « cause agissante ». Cette cause « agissante » est celle qui me fera agir de telle sorte, en « portant le premier coup » c’est-à-dire en écrasant la force « influentes » des autres pensées qui luttaient de façon contraire. De fait, cette pensée sera celle qui agira le plus fortement sur ma volonté pour la mettre en « mouvement » (ligne 29), c’est-à-dire pour me faire agir en son sens. Le fait que je pensasse à ne pas rentrer chez moi pour travailler, c’est-à-dire que j’eusse des pensées contraires à celle qui m’a fait vouloir et donc agir ne me permet pas pour autant de penser que j’aurai pu agir autrement. Mon action s’est nécessairement produite ainsi, en raison d’un « enchaînement causal » qui, s’il est présupposé de manière a priori prouve cette nécessité de l’action. C’est ce que Schopenhauer va prouver en établissant une analogie plus complexe avec l’exemple d’une expérience mécanique (ligne 31) de « petites balles de liège électrisées » (lignes 36 et 37).
Cette expérience présente la même ambiguïté causale que celle présentée dans les pensées contraires et en luttes. Schopenhauer choisit un exemple de « causes purement mécaniques » (ligne 31) pour montrer dans son analogie à quel point nos pensées sont déterminées. Ce choix est important par ce que l’analogie permettra de prouver que les causes agissantes de notre volonté, les pensées, sont absolument déterminées. C’est-à-dire qu’il s’agit de prouver que les pensées, et par là l’intellect sont déterminées de manière aussi nécessaire que les phénomènes physiques le sont, le plus bas degré d’évolution de la réceptivité. De fait la volonté de l’homme sera remise à sa place, dans la chaîne causale, et nous aurons ainsi affirmé le prima de la raison sur l’intellect pour juger du statu de notre volonté.
Cet exemple d’expérience purement mécanique possède comme ce vient d’être le cas pour les pensées, « une liaison compliquée » (ligne 32), là aussi il y a lutte, les petites balles « agissent les unes à l’encontre des autres ». En outre, nous pouvons prévoir dans cette expérience ce qu’il se passera grâce à une loi, une loi de causalité, c’est-à-dire que nous avons un « résultat calculé d’avance » par rapport à cette loi présupposée qui arrivera donc « immanquablement » (lignes 33 et 34), c’est-à-dire sans qu’il n’y ait d’exception. De fait, en voyant le résultat, il est possible de déduire la loi qui détermine le phénomène mais l’enchaînement est si compliqué que sans cette loi, celle de la raison, nous ne pouvons prévoir ce qu’il va se passer par ce que les causes agissantes sont si compliquée que nous ne pouvons les saisir dans leur multitude et leur complexité phénoménale. C’est ce que nous pouvons observer nous dit Schopenhauer dans « le cas des petites balles de liège électrisées qui sautent dans toutes les directions sous la cloche de verre » (lignes 36 à 38). Sans avoir connaissance de la loi causale qui détermine la complexité des mouvements de ces balles et puisque leurs causes agissantes ou ce qui les détermine à se diriger ainsi dans l’espace et dans le temps est invisible il est possible d’être trompé par cette apparence et de juger qu’elle ne sont déterminées par rien et que leurs mouvement se font au hasard, de manière contingente. C’est-à-dire que telle balle se dirige ainsi mais elle pourrait se diriger autrement, tel que l’a fait une autre balle que nous observerions ailleurs sous la cloche de verre. Pour Schopenhauer ce n’est qu’une « exception apparente aux lois de la causalité » (lignes 34 et 35). Car si nous connaissons de façon a priori la loi mécanique qui agit sur chacune des balles de manière plus ou moins différente, d’où la complexité de leurs mouvements les unes par rapport aux autres, alors nous ne les considérons non plus comme indéterminées mais au contraire comme nécessairement causées. Nous voyons donc ici se dégager le prima de la raison sur l’intellect, puisque cette faculté de connaissance a priori est celle de la raison, et plus précisément celle du concept kantien de « raison pure a priori ».
L’analogie peut donc être complétée en revenant à la volonté humaine, à sa détermination dans ses « mouvements » (ligne 38) dont le terme fait le lien analogique avec le cas des balles de liège que nous venons de décrire. Comme pour les balles de liège, la volonté humaine ou les « mouvement humains » sont des phénomènes soumis à la loi de causalité, en dépit de la complexité de leurs liaisons causales due à la coexistence de pensées contraires et en lutte pour se manifester dans l’acte de vouloir. Schopenhauer vient de le prouver de façon définitive, l’intellect et sa vision, son « œil » (ligne 38) n’est pas en mesure de juger et de reconnaître la nécessité des mouvements phénoménaux. Ce rôle revient bien plus à la raison qui ne perd pas de vue la nécessité causale de toute manifestation phénoménale. C’est de fait à la raison qu’il « appartient de juger » (ligne 40) de cette liberté de la volonté, de ce concept de libre arbitre.

C’est donc ce que nous allons faire dans cette troisième et dernière partie de ce texte. Maintenant que nous avons montré la supériorité de la raison sur l’intellect, jugé par la raison comme incapable de se prononcer sur le statu de notre volonté, nous allons en venir au jugement vrai que la raison est en mesure de porter sur ce statu de la volonté. Il va ainsi s’agir de critiquer le concept même de libre arbitre pour montrer qu’il n’est pas fondé, ou plutôt qu’il n’est fondé sur rien, sur aucune loi et qu’il conduit de ce fait à un paradoxe.

Cette partie commence par la présupposition d’une liberté de la volonté, c’est-à-dire que « l’on admet le libre arbitre ». Le libre arbitre serait donc ce qui selon Schopenhauer détermine les manifestations phénoménales de l’ordre de l’ « action humaine » (ligne 41). De fait, ces actions ou manifestations se produisent de façon miraculeuse et « inexplicable » (ligne 42). Ce « miracle explicable » provient d’une croyance consistant en ce que notre volonté n’a été déterminée par rien d’autre qu’elle-même, qu’elle est « un effet sans cause » (ligne 42). Notre volonté ne pourrait être expliquée puisqu’elle ne rentrerait pas dans la chaîne causale, elle ne se soumettrait pas à la loi de causalité. Ne répondant à aucune loi, elle ne pourrait être expliquée en raison. C’est pourquoi nous croyons qu’elle n’est déterminée par rien d’autre qu’elle même. Notre volonté serait donc soumise à la contingence, celle de ses pensées contraires dans lesquelles elle croit trancher librement. Ce fait inexplicable ou effet sans cause est donc objet de croyance ; nous croyons ne pas être soumis à la nécessité puisque rien ne permettra de déterminer une action plutôt qu’une autre, d’où ce concept de libre arbitre. C’est pourquoi Schopenhauer parle de « miracle », nous croyons à quelque chose, ici à un effet qui n’a pas de cause, qui ne peut s’expliquer par la loi de causalité.
Cette liberté est celle qui se base sur la lutte de nos pensées, contraires les unes aux autres, et nous croyons que nous agissons dans la contingence. C’est-à-dire que nous pensons pouvoir agir de telle manière et à la fois de telle autre, que cela ne dépend que de notre volonté et de rien d’autre. C’est ce que nous venons de voir avec ces petites balles de liège à la fin de la seconde partie de cette explication. Quand nous observions une balle elle allait dans une direction, et nous nous laissions croire qu’elle pouvait aussi aller dans une autre direction puisqu’une balle voisine en avait fait autrement. C’est ce que Schopenhauer appelle la « liberté d’indifférence » (ligne 43) qui consiste à pouvoir agir de façon arbitraire, à agir d’une certaine façon tout en étant capable d’en faire le contraire dans les mêmes conditions. C’est-à-dire que si je décide de rentrer chez moi pour travailler, pour reprendre un exemple exposé plus haut, j’aurai tout aussi bien pu en faire autrement, si ce n’est l’inverse en allant par exemple chez une amie ou en allant me divertir ailleurs. C’est ce fait de croire que l’on peut faire ce que l’on veut indépendamment de toute cause extérieure qui caractérise cette liberté d’indifférence. Et ce que nous dit Schopenhauer, c’est que lorsque « l’on essai de se représenter cette liberté d’indifférence » (ligne 43) tel que nous venons de le faire, « la raison est absolument paralysée » (ligne 46). Car cette croyance est par définition irrationnelle, elle présuppose un effet faisant exception à la loi de causalité. C’est-à-dire qu’il faut se figurer un effet ou une action qui se soustrait à l’influence du temps et de l’espace, et donc des autres phénomènes qui eux s’y trouvent en tant que causes influentes ou agissantes ou encore motifs, ce en quoi l’effet pourrait être expliqué par la raison pure a priori. Sans ces deux conditions, cet effet enlève tout moyen à la raison de l’inscrire dans une chaîne causale. C’est en cela qu’elle est paralysée. « Les formes mêmes de l’entendement y répugnent » (lignes 47 et 48) puisque ce qui paralyse la raison consiste en ces formes, le temps et l’espace. « L’entendement » ne peut accepter un tel concept, celui de libre arbitre puisqu’il prétend échapper à ses cadres temporel et spatial.
Ainsi, le concept de libre arbitre, d’effet sans cause ou de liberté d’indifférence est fondé en dehors de la raison qui quant à elle est solidement fondée sur «  le principe de raison suffisante » (lignes 47 et 48). Ce principe ou fondement de la raison a déjà été exposé par Schopenhauer à la page 57 de cet Essai sur le libre arbitre, qu’il définit par un caractère de nécessité, que nous avons développé dans la définition de la loi de causalité en première partie et que nous allons retrouver plus loin. Ce caractère de nécessité ou loi de causalité révèle pour Schopenhauer son identité avec « le principe de raison suffisante » qui constitue la forme la plus générale de notre entendement. Ce principe se base ainsi sur ce caractère de nécessité qu’il nomme ici « principe de la détermination universelle » (lignes 48 et 49). C’est ce que nous avons vu en première partie, rien ne peut se soustraire à la loi de causalité. Car tout est de l’ordre du phénomène dont la manifestation n’est possible que dans l’espace et le temps. Cette soumission est nécessaire et « universelle », c’est-à-dire que toute apparition phénoménale est déterminée de façon a priori, c’est à dire de manière absolue ou encore de façon nécessaire et « universelle ». Ce principe de raison suffisante implique donc le principe de la détermination universelle telle qu’elle vient d’être expliquer mais aussi le principe « de la dépendance mutuelle des phénomènes » (ligne 49). Cette dépendance se conçoit assez logiquement. Puisque tous les phénomène sont soumis à la loi de causalité de façon nécessaire et universelle, alors chaque phénomène s’inscrit dans une chaîne causale absolument déterminée. Ce qui signifie que chaque phénomène est l’effet d’un phénomène qui l’a précédemment causé, et à son tour cet effet sera la cause d’un autre phénomène, constituant ainsi une chaîne causale. C’est ce que nous pouvons observer en reprenant l’exemple de la réceptivité « chimique » (ligne 14), avec l’action du soleil sur la surface des feuilles de la plante. Outre la photo-synthèse, le soleil en tant que phénomène est aussi la cause de l’évaporation de l’eau des feuilles par les stomates. Ce phénomène d’évaporation peut être considéré comme l’effet d’une cause phénoménale, le soleil. À son tour, cet effet d’évaporation sera ou aura pour cause de produire un effet de succion qui se répercutera jusqu’aux racines qui aspireront ainsi l’eau contenue dans le sol. Dans cette eau se trouve les ions M, P et K qui comme nous l’avons déjà dit sont des éléments chimiques que nous appelons engrais et qui sont nécessaires à la vie de la plante. De ce fait, ce phénomène qui consiste pour la plante à prélever ces éléments nutritifs dépend d’autres phénomènes. La plante ne décide pas de se nourrir quand elle manque de nutriment ou d’eau mais cela se fait par l’action d’autres phénomène, par l’enchaînement d’une chaîne causale ou encore « de la dépendance […] des phénomènes ». Et nous pouvons ici remarquer que cette dépendance est mutuelle car pour que l’action du soleil ait pour effet la photo-synthèse, il faut que la feuille soit en vie, qu’elle contienne de l’eau et des nutriments. Il en va de même pour l’homme. Si je suis rentrée chez moi c’est que j’étais déterminé à travailler par ce que je dois étudier pour obtenir un diplôme par exemple, et à plus long terme pour gagner ma vie. Il y a donc dans le motif, dans la cause influente quelque chose qui me détermine à agir ainsi, d’où cette « dépendance mutuelle des phénomènes ». Comme nous le disons plus communément, tout est lié.
Le « principe de raison suffisante » consiste donc bien en ces deux choses, la première est le « principe de détermination universelle », la loi causale a priori et la seconde est le principe « de la dépendance mutuelle des phénomènes », c’est-à-dire l’effet nécessaire et universelle de cette loi a priori dans les manifestations phénoménales, dans l’expérience. Et comme nous l’avions aussi dit, ces conditions a priori que sont l’espace et le temps sont aussi les conditions de possibilité de toute expérience, de toute connaissance empirique ici définit comme « la forme la plus générale de notre entendement » (ligne 50). L’entendement peut être définie comme notre capacité de compréhension mais en terme kantien il s’agit plus précisément de notre faculté de produire des catégories telles que l’espace et le temps. De ce fait, cette capacité est tournée vers l’expérience et permet d’avoir des connaissances, à condition de répondre aux contraintes temporelle et spatiale posée par Kant dans le concept de raison pure a priori. Ainsi, plus cette capacité de compréhension sera importante et plus elle pourra embrasser de phénomènes, plus elle sera en mesure de faire des expériences et de connaître les causes de ce qu’elle aura observé. Plus ces phénomènes ou « objets » (ligne 51) dont elle pourra faire l’expérience, qu’elle « considère » (ligne 51) sont variés, « suivant la diversité » plus elle saura adapter son action aux différents phénomènes se manifestant dans l’espace et dans le temps. Car l’entendement aura fait l’expérience de ces phénomènes dans leur chaîne causale, en vertu de la loi de causalité permettant toute connaissance dans les cadres de l’espace et du temps. L’entendement étend ainsi sa capacité de compréhension, l’étendue de ses catégories à la multitude des phénomènes dont il fera l’expérience. C’est en cela que selon cette diversité, l’entendement et ses deux formes que sont l’espace et le temps prendront « des aspects fort différents » (ligne 52). Il s’agit pour cette « forme générale » ou a priori d’étendre sa connaissance des déterminations causales des phénomènes dont elle peut faire l’expérience.
Cependant, dans le cas où l’on présuppose la liberté de la volonté, « il faut que nous nous figurions quelque chose qui détermine sans être déterminé » (lignes 53 et 54). C’est-à-dire qu’il s’agit de quelque chose qui n’entre pas dans la « forme générale de l’entendement », l’espace et le temps comme expression de la loi de causalité, nécessaire et universelle. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas connaître puisque la connaissance consiste comme nous venons de le dire à pouvoir comprendre les causes ayant déterminées le phénomène dont il nous est possible de faire l’expérience. C’est en cela que lorsqu’il faut se représenter ou se figurer une telle chose, une telle liberté de la volonté de l’homme, il faut que cette liberté « ne dépendent de rien » (ligne 54) ou encore et comme nous l’avons expliqué à la ligne 42, il faut se représenter « un effet sans cause ». En revanche, bien que par définition ce concept de libre arbitre ne dépende de rien, il faut que « d’autres choses dépendent » de sa manifestation phénoménale, son action (ligne 55). Si je considère que rien ne me détermine à me rendre chez moi pour travailler, que je peux en faire tout autrement si ce n’est le contraire, le fait que mon travail soit fait ou que la porte de la maison de mon amie soit ouverte dépend entièrement de ma volonté. De ce fait, mon action sera contingente, nous l’avons dit en deuxième partie et nous pouvons aussi nous référer de nouveau à l’expérience des petites balles de liège. C’est-à-dire que bien qu’elle se passe ainsi elle aurait pu se passer tout autrement. Par exemple, il s’agirait de me dire que même si je suis rentré chez moi et que je me suis appliqué à mon travail, j’aurai très bien pu ne pas agir ainsi et aller chez une amie. C’est en ce sens que la volonté est considérée « sans nécessité » (ligne 55). Et puisqu’elle n’est pas nécessaire elle ne s’inscrit pas dans une chaîne causale et ne répond pas au « principe de raison suffisante », elle ne peut pas être expliquée ce qui explique qu’elle soit « par suite sans raison » (ligne 56) ou miraculeuse (ligne 42).
C’est avec ces critères que Schopenhauer va exposer un exemple de ce que produit ce concept de libre arbitre pour le critiquer jusqu’à son aboutissement. Cette fois il n’est plus question de quelque chose de concret comme ce pu être le cas avec les différents degrés de réceptivité en première partie ou encore les petites balles de liège électrisées sous la cloche de verre dans la seconde mais bien plutôt de simples lettres. Ceci appuie bien que nous ne pouvons pas nous représenter, nous figurer ou encore avoir de connaissance de ce concept de libre arbitre. Car nous aurions pu, si nous croyions au libre arbitre nous étonner que Schopenhauer ne donne pas d’exemples tels qu’il l’a fait en seconde partie ou facilement déductible dans la première partie. Il s’agit ici de lettres par ce que nous ne pouvons pas nous figurer le libre arbitre de façon concrète, il ne peut se vérifier par l’expérience ou encore il est irrationnel.
Par là nous dit Schopenhauer nous pouvons avec ce concept avoir une action « A » comme « produit » (ligne 56) de cette liberté de la liberté ou libre arbitre. Cette action se produit mais avec cette liberté d’indifférence nous pouvons tout aussi bien agir d’une façon différente, c’est-à-dire « produire B, ou C, ou D » (ligne 57). C’est ce que nous avons vu plusieurs fois dans l’exemple que nous avons donné. C’est-à-dire que je crois pouvoir rentrer chez moi pour travailler, ce que nous pouvons appeler l’action « A » mais que je peux aussi me rendre chez une amie, l’action « B », ou aller me divertir, l’action « C » ou encore me coucher puisque je suis fatigué, l’action « D ». Et tout ce dont je crois ici se fait dans l’unique contexte de mon choix « A » de rentrer chez moi pour travailler, c’est-à-dire « dans des circonstances identiques » (ligne 58). Schopenhauer ajoute ici une précision importante quant à l’action « A », celle que nous voulons, « la plus puissante » (ligne 28). C’est-à-dire qu’étant donné qu’il serait possible que je puisse à la fois vouloir deux actions contraires l’une à l’autre, nous serions tenté de dire que l’action « A » peut bien plus entraîner l’action « B ». Dans le contexte de notre exemple, il s’agirait de considérer que nous pouvons vouloir deux actions contraires. Mais dans l’instant où je décide de rentrer chez moi pour travailler, je ne peux pas aussi me dire que je vais me reposer par suite d’avoir travaillé. Dans ce cas nous ne serions pas dans le même contexte, dans les mêmes « circonstances ». Dans le présent de l’action « A », il est plus important que je travaille alors je vais m’y appliquer plutôt que de me reposer. C’est en cela qu’il n’y a rien dans « A » qui puisse lui faire donner la préférence sur B » (lignes 59 et 60). Si tel était le cas, que « A » pouvait produire « B », alors « A » serait la raison de « B », il posséderait quelque chose qui le déterminerait à se produire. « A » serait donc un « motif » (ligne 60), une détermination spatiale et temporelle de la loi de causalité, et par là « une cause » qui s’inscrirait donc nécessairement dans une chaîne causale. Dès lors, il ne serait plus possible de parler de liberté de la volonté, elle serait au contraire déterminée et nous ne pourrions plus parler de libre arbitre. Schopenhauer semble ici encercler et pousser ce libre arbitre jusqu’au bout de sa contradiction, de son paradoxe. Car non seulement l’action « A » ne peut contenir ce début de causalité mais elle ne peut pas non plus le contenir pour l’action « C » ou encore « D ». Il s’agit ici d’une contingence qui vaut pour toutes les pensées contraires ou « en lutte » que nous pouvons prétendument vouloir . C’est ce que Schopenhauer désigne sous le terme de « hasard absolu » (ligne 63) qu’il a indiqué « dès le début de ce travail » (lignes 62 et 63). C’est ce que nous pouvons retrouver à la page 28 de cette œuvre. La définition du hasard que nous pouvons y trouver est celle que nous venons d’exposer, c’est « l’indépendance absolue à l’égard de toute cause ». Dans cette partie de son œuvre, le hasard et la contingence sont conçue comme l’inverse de la détermination et de la nécessité et c’est ce que nous pouvons retrouver dans cette troisième partie. Ainsi la notion de hasard s’oppose à celle de détermination. Le hasard est ce qui ne peut se prévoir, ce qui ne peut produire de détermination phénoménale. Et la contingence s’oppose à la nécessité des phénomènes, c’est-à-dire que la contingence est ce qui peut être autrement ou bien ce qui peut ne pas être et son opposé est la nécessité, ce qui ne peut pas être autrement, qui est de manière absolue. Il s’agit donc bien de ce que nous avons développé dans l’explication de ce texte. C’est-à-dire que pour Schopenhauer nous en revenons toujours à cette notion de hasard « absolu », qui ne peut en aucune façon contenir le moindre caractère de causalité, comme nous venons de le montrer avec l’action « A » dans notre tentative de représentation du libre arbitre. Schopenhauer vient donc de pousser ce libre arbitre jusqu’à son terme, il l’a épuiser jusqu’à en faire ressortir sa contradiction. Ce concept se fonde sur rien que nous ne puissions expliquer, il s’agit d’un paradoxe. C’est pourquoi il le dit une fois encore, suite à cette autre démonstration ; ce libre arbitre ne nous apprend rien de vrai, il ne nous montre pas que nous sommes libre mais au contraire nous emprisonne de cette illusion, de cette croyance. Notre « esprit » (ligne 64) entendu comme ce qui contient l’intellect et la raison est déterminé, c’est ce que Kant démontre par son concept de « raison pure a priori ». Cela signifie que nous ne pouvons pas nous extraire du temps et de l’espace, sinon c’est une erreur qui nous prive de notre entendement, de toute possibilité de connaissance. C’est en cela que le concept de libre arbitre nous « paralyse complètement » (ligne 64) d’autant plus qu’elle nous rend aveugle à la vérité, celle de la loi de causalité mais aussi celle qui nous révèle notre identité, c’est-à-dire qui explique notre raison d’être, la chaîne causale qui a permis notre apparition en tant que phénomène. Nous ne regardons pas avec le bon « œil », celui de la raison. Nous sommes aveugle dès lors que notre intellect est trompé par l’illusion de l’apparence des phénomènes. Dès lors, nous tombons dans la croyance, nous croyons en cette liberté de la liberté, en ce libre arbitre. Alors nous ne pouvons plus utiliser ce que nous pouvons appeler cette vision rationnelle puisque celle-ci se trouve paralysée, privée des formes spatiales et temporelles de l’entendement, ce qui rend possible toute connaissance. C’est pourquoi Schopenhauer doute qu’il soit possible de faire ne serait-ce que « concevoir » une pareille liberté de la volonté, une volonté d’indifférence telle que nous l’avons expliqué. Car s’il est aveugle à la raison, celui qui croit au libre arbitre ne pourra pas se représenter son caractère infondé, son paradoxe ou sa contradiction puisque cela se fait par la raison même, ce que Schopenhauer avait indiqué sous le terme de « recherches suffisantes » (ligne 25). Ces recherches suffisantes pourraient déjà consister à se figurer ou se représenter une pareille liberté mais il faudrait aussi faire recouvrer la vue, en inculquant cette raison, en rappelant cette loi de causalité, ce qu’il vient de faire dans ce texte.

De fait, même si cet examen nous conduit à une nouvelle difficulté, notre enjeu est atteint. Il s’agissait de pouvoir repérer et comprendre notre place dans le monde, la manière dont nous nous y inscrivons. Cette place est celle de l’inscription dans une chaîne causale, celle de la soumission à la loi de causalité. La difficulté de cette thèse est ainsi dépassée, celle du libre arbitre. D’une part, le libre arbitre ne tient pas puisqu’il est possible de prouver par la raison et de manière a priori que nous ne sommes pas libre de vouloir mais qu’au contraire notre volonté est absolument déterminée. D’autre part, ce concept n’est pas même en mesure de défendre sa position par ce que sa position même ne repose sur rien si ce n’est un « hasard absolu ». Nous trouvons ainsi avec Schopenhauer notre place dans le monde mais la difficulté qui apparaît alors est autrement plus difficile à surmonter. De fait, comment redonner à la raison de ceux qui croient au libre arbitre les moyens ou les « membres » nécessaires à cette quête d’intelligibilité du monde qui nous entour et de la place que nous avons à y prendre ? La réponse et la solution de Schopenhauer sera de partir de nouveau de l’expérience pour déceler de manière concrète si ce n’est expérimentale ce lien de causalité, ce fondement de notre existence d’homme inscrite dans l’évolution complexe de ces « choses de la nature ».

« L’homme, en effet, ainsi que tous les objets de (l.1)l’expérience, est un phénomène dans l’espace et dans le temps (l.2), et comme la loi de causalité vaut a priori (l.3) pour tous les phénomènes, et par suite ne souffre pas d’exception, (l.4) l’homme doit aussi être soumis à cette loi. (l.5) C’est cette vérité que proclame la raison pure a priori, (l.6) que confirme l’analogie qui persiste dans toute la nature, (l.7) que l’expérience de tous les jours démontre à chaque instant, (l.8) pourvu qu’on ne se laisse pas tromper (l.9) par l’apparence. Ce qui produit l’illusion c’est que, (l.10) tandis que les êtres de la nature, s’élevant de degré en degré, (l.11) deviennent de plus en plus compliqués, (l.12) et que leur réceptivité, naguère purement mécanique, (l.13) se perfectionne graduellement jusqu’à devenir chimique, (l.14), électrique, excitable sensible, et s’élève enfin jusqu’à la (l.15) réceptivité intellectuelle et rationnelle, la nature des (l.16) causes influentes doit en même temps suivre cette gradation (l.17) d’un pas égal, et se modifier à chaque degré (l.18) en rapport avec l’être qui doit subir leur action (l.19) ; c’est pourquoi aussi les causes paraissent de moins en moins (l.20) palpables et matérielles, de sorte qu’à la fin elles ne sont (l.21) plus visible à l’oeil, mais seulement accessible à la raison qui (l.22), dans chaque cas particulier, les présuppose avec (l.23) une confiance inébranlable et les découvre aussi après (l.24) les recherches suffisantes. Car ici les causes agissantes (l.25) se sont élevées à la hauteur de simples pensées, qui se (l.26) trouvent en lutte avec d’autres pensées, jusqu’à ce que (l.27) la plus puissante porte le premier coup et mette la (l.28) volonté en mouvement ; toutes opérations qui se poursuivent (l.29) avec la même nécessité dans l’enchaînement (l.30) causal, que lorsque des causes purement mécaniques, (l.31) dans une liaison compliquée, agissent à l’encontre les (l.32) unes des autres, et que le résultat calculé d’avance arrive (l.33) immanquablement. Cette exception apparente aux lois (l.34) de la causalité, résultant de l’invisibilité des causes, (l.35) paraît se produire aussi bien dans le cas des petites (l.36) balles de liège électrisées qui sautent dans toutes les (l.37) directions sous la cloche de verre, que dans celui des (l.38) mouvements humains : seulement, ce n’est pas à l’oeil (l.39) qu’il appartient de juger, mais à la raison. (l.40)

Si l’on admet le libre arbitre, chaque action humaine (l.41) est un miracle inexplicable, un effet sans cause. Et si (l.42) l’on essaie de se représenter cette liberté d’indifférence, (l43) on se convaincra bientôt qu’en présence d’une telle (l.44) notion la raison est absolument paralysée : les formes (l.45) mêmes de l’entendement y répugnent. Car le principe de (l.46) raison suffisante, le principe de la détermination universelle (l.47) et de la dépendance mutuelle des phénomènes, est (l.48) la forme la plus générale de notre entendement, laquelle, (l.49) suivant la diversité des objets qu’il considère revêt elle-même (l.50) des aspects fort différents. Mais ici il faut que (l.51) nous nous figurions quelque chose qui détermine sans (l.52) être déterminé, qui ne dépende de rien, mais dont (l.53) d’autres choses dépendent, qui, sans nécessité et par (l.54) suite sans raison, produit actuellement A, tandis qu’il (l.55) pourrait aussi bien produite B ou C, ou D, et cela dans (l.56) des circonstances identiques, c’est-à-dire sans qu’il y ait (l.57) à présent rien en A, qui puisse lui faire donner la préférence (l.58) sur B (car ce serait là un motif, et par conséquent (l.59) une cause), pas plus que sur C ou sur D. Nous sommes (l.60) ramenés ici à la notion indiquée dès le commencement (l.61) de ce travail, celle du hasard absolu. Je le répète : une (l.62) telle notion paralyse complètement l’esprit, à supposer (l.63) même qu’on réussisse à la lui faire concevoir (l.64). »

Bibliographie :

A.Schopenhauer, Essai sur le libre arbitre.

E.Kant, Critique de la raison pure.

Une réflexion sur “PHILOPURE : Commentaire : Schopenhauer, « Essai sur le libre arbitre », pp 84-86 : « A quel point nous ne sommes libre que de nous soumettre à la nécessité »

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