PHILOPURE

Conservatisme, républicanisme, libéralisme politique et abaissement de l’idéal humain dans la philosophie politique selon L. Strauss

philo hommeLe dernier article mettant en perspective les trois contractualismes (voire articles correspondant sur les contractualismes de Hobbes, Locke et Rousseau) et le perfectionnisme introduisit au libéralisme dans son sens le plus neutre. Il s’est agit de présenter trois solutions modernes vis-à-vis de la réponse antique à la question de l’existence de la cité. La première philosophie politique non perfectionniste moderne possible est le conservatisme.

Le conservatisme :

philo hobbesCette position serait la représentante si ce n’est le paradigme de cette philosophie. Ce mot, le conservatisme est aussi associé à une autre attitude, le fait d’être réactionnaire, de rejeter les révolutionnaires du XVIIIe siècle. Ce sont des réactionnaires c’est-à-dire qu’il vont ou sont à rebours. Toutefois il faut noter qu’être réactionnaire n’est pas la même chose que d’être conservateur, car conserver n’est pas la même chose que de revenir en arrière.

Il suffit d’unir deux idées de Hobbes ; que la vie civile, de sortir de l’état de nature ne transforme pas les hommes. Ils gardent les passions qui les conduisent à la méfiance et à la lutte à l’état de nature. Simplement, les passions naturelles sont soit bridées soit transmuées. La conséquence de cette vision est que l’état de nature n’appartient pas au passé, c’est une menace permanente, quelque chose contre quoi il n’y a que la raison humaine qui puisse contre-agir. La force du Léviathan c’est la force du citoyen rationnel. L’état de nature n’est pas au passé mais peut au contraire ressurgir à tout moment et par conséquent l’idée de conserver l’ordre prend son sens par l’idée de menace permanente de retour à l’état de violence. Il convient de la laisser en sommeil en canalisant les passions humaines. Autrement dit la main de l’état ne doit jamais se relâcher.

La deuxième idée est qu’il n’existe pas de justice en soi, mais des intérêts en conflit qui ont tous une égale légitimité à être revendiqué, c’est le droit de nature hobbésien. Ce sont des intérêts entre lesquels il s’agit de trancher, de trouver des compromis. L’idée d’un accord raisonnable des citoyens sur des règles de justice (telle que celle de Rousseau) sont dans cette conception de Hobbes une idée chimérique. Il n’y a pas de norme de justice ni d’accord raisonnable des agents (les sujets ou citoyen qui agissent) : dont il faut une décision arbitrale qui fixe, qui tranche entre es intérêts, d’où le nom de décisionnisme que l’on peut attribuer à cette position.

La tâche première de l’État et la raison d’être de la cité est de conserver l’ordre social contre la menace de dislocation, contre la menace de chaos toujours présente. Ça ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut rien changer, ce n’est pas non plus l’idée de tout garder figé. C’est bien plutôt une vision de la politique sans idéal.

Le républicanisme :

philo rousseauLa seconde position moderne constitue l’anti-thèse la plus nette du conservatisme. Le républicanisme repose de façon essentielle sur l’idée rousseauiste qui veut que les passions belliqueuses ne sont pas les traits de la nature humaine mais des sous-produits de l’ordre social dans lequel les hommes vivent. Cela sous-tend l’idée d’une co-législation, de lois édictées en commun. Ce « co- » signifie que le rôle de la cité ne consiste pas simplement à produire des règles mais à remplacer l’homme par le citoyen, à « dénaturer l’homme » selon Rousseau. La vie civile fait de l’homme un co-législateur. Cette idée de la loi comme œuvre commune a sa source dans l’idée que le but de la cité n’est pas seulement de produire un ordre pour dominer les passions des hommes mais qu’il est de produire un ordre sans domination : produire l’homme et la liberté. La liberté est un don de la république (res-publica, c’est-à-dire la chose publique, ce qui appartient à tous en partage), que par conséquent la vie politique s’est élaborée par le désir de co-législation, un désir de vivre libre et non-dominé. Il y a une certaine définition de la liberté, non pas négative comme celle de Hobbes qui est une non-contrainte (échapper à la violence des autres en niant la sienne propre) ; ici la liberté est une non-domination.

Cette thématique a été mise en lumière par P. Pettit dans Républicanisme, une théorie de la liberté et du gouvernement. Il insiste sur l’accent mis sur la liberté comme non-domination et non pas comme absence de contrainte. L’idée centrale de Rousseau est qu’il faut mettre la loi au dessus de l’homme. Cela veut dire que dans une cité autrui ne peut rien imposer d’autre que ce que la loi lui autorise à imposer. Or la loi si je la fait je ne suis pas soumis à autrui mais à moi, transmutée avec celle des autres mais toutefois ça reste moi, ma volonté. Il ne faut jamais être en position qu’autrui puisse m’imposer quelque chose d’arbitraire.

Cette idée de loi édictée en commun, de républicanisme, repose sur la possibilité d’une volonté générale, c’est un postulat. Mais surtout elle implique une emprise virtuellement totale de la loi : la loi doit entrer dans les ménages s’il y a domination, partout où il peut y avoir de la domination il peut y avoir de la loi. L’éducation est la chose la plus importante parce qu’il faut créer cet esprit citoyen, cette philosophie républicaine.

Le libéralisme politique :

philo constantAu sens large le libéralisme est celui de Hobbes, libéral au sens de neutraliste, qui ne se prononce pas sur la vie de l’homme. Et le sens strict est l’alternative au conservatisme et au républicanisme. Ce sens prend sa source théorisée et moderne chez B. Constant dans Les principes de la politiques (1815), chez lequel on peut lire une laïcisation de la doctrine de Locke, c’est-à-dire sans le cadre théologique. Sa doctrine a sa source dans le jugement porté sur le républicanisme de Rousseau via la Révolution française et en particulier la Terreur, l’assise philosophico-politique de la Terreur. Ce que montre la Révolution française c’est que la souveraineté du peuple peut être aussi funeste que celle d’un seul homme, le mal est le même c’est l’absolutisme. Le libéralisme est anti-absolutiste. C’est l’idée que la loi peut s’étendre à tout, et le fait que n’importe quel contenu puisse appartenir à la loi si elle a reçu la caution du peuple.

Alors à cette idée Constant oppose une reformulation de la loi naturelle de Locke, « les citoyens possèdent des droits individuels indépendamment de toute autorité sociale ou politique et toute autorité qui viole ces droits devient illégitime. Il trouve un substitue laïque, c’est-à-dire cette doctrine des droits individuels non constitués par l’État et que l’on doit reconnaître au citoyen.

De cette conception il résulte l’idée centrale du libéralisme politique que le pouvoir politique est un mal nécessaire.c’est quelque chose qui est indispensable mais fondamentalement dangereux et dont il faut s’assurer qu’il ne nous nuira pas. L’idée de la puissance de l’État est vue à l’inverse, c’est l’idée que le pouvoir politique est indispensable mais dangereux. D’où le contrôle, la surveillance, le contre-pouvoir. C’est aussi ce que l’on retrouve chez Locke avec la confiance, « trust ».

Ce pouvoir n’est pas créateur de l’ordre. Les vrais conservateurs sont les libéraux, la tâche de la cité est de conserver un ordre qu’elle n’a pas fait. Chez Locke c’est l’ordre de Dieu et chez Constant il s’agit des individus qui ont des droits individuels et les relations qu’ils ont les uns avec les autres ne sont pas automatiquement conflictuelles, mais qui de manière spontanée sont des accords qui peuvent alors déclencher des disputes quant au droit.

L’idée est que pour pouvoir demander à l’autorité politique de minimiser l’autorité politique, il faut mettre de l’ordre en dehors de cette autorité. Il y a un lien assez étroit avec ce développement du libéralisme politique, l’autorité politique bornée et le libéralisme économique. Ce que montre toute une littérature antérieure à la Révolution c’est que contrairement à Hobbes les rapports inter-humains sont au contraire basés sur l’utilité réciproque sous forme de troque et de commerce, des relations intrinsèquement et mutuellement bénéfiques. Les rapport sociaux spontanés sont équilibrés et l’État par défaut c’est l’échange utilitaire mais avec jouissance précaire de ses droits, car il y a des contestations possibles de ses droits.

Pour autant s’agit-il ici de trois opinions entre lesquelles il s’agit de décider ? Plutôt non parce que l’on peut trouver une explication à cette pluralité de solutions ; car elles sont chacune associées à des anthropologies différentes. En philosophie politique il s’agit de fonder anthropologiquement la cité. Ces trois réponses ont néanmoins cela en commun de rejeter le fait que le politique ait à dicter la bonne vie. Mais est-ce si grave ou si condamnable que la politique ait à se poser ce genre de question ?

Selon Léo Strauss on a perdu le sens de ce questionnement. C’est ce qu’il convient de retrouver.

Léo Strauss : l’abaissement de l’idéal humain dans la philosophie politique moderne :

Cette idée d’une rupture radicale entre la philosophie politique des anciens et des modernes se marque avec Machiavel et Hobbes. Le point de départ de la réflexion de Strauss se fait sur le totalitarisme moderne (essentiellement sur le nazisme). La différence entre les tyrannies moderndes et anciennes c’est que les anciennes, le tyran ancien se trouve appuyé par peu de personnes, seulement par quelques clients, et son œuvre est une œuvre de prédation, c’est-à-dire de ne servir que lui et ses amis. Les tyrans modernes ont eux l’appuie d’une grande masse , il ne veut pas partager le butin mais servir l’intérêt général. Seuls des hommes formés à cette conception de la politique peuvent penser que la réforme de la société par le crime peut être légitime. Associer un travail de formation à un travail criminel peut être formé chez une masse d’hommes quand ils sont formés à une certaine vision de la politique. Et cette vision de la politique est cette vision moderne, celui qui met en circulation une certaine image de la politique qui rendra possible que des gens puissent trouver parfaitement normal qu’on puisse atteindre des fins politiques par des moyens criminels.

La philosophie politique moderne est activiste et se soucie de réviser ce qu’elle décrit comme juste et moral. Par contraste la philosophie des anciens est purement contemplative, sans soucis de la révision. Et cette différence vient de ce que Strauss appelle la substitution de l’agréable au bien. Les philosophes politiques de l’antiquité, surtout Platon voire Aristote, avaient l’idée que ce que la politique doit apporter aux hommes est l’excellence, la perfection de la nature humaine. La philosophie politique moderne soutient quant à elle que c’est l’État moderne qui doit permettre de pouvoir vivre le plus agréablement que nous le permet notre condition humaine.

On voit qu’il est plus facile de concevoir la réalisation du deuxième idéal que celle du premier. Ce qui caractérise la philosophie politique moderne est un abaissement de l’idéal humain. C’est l’acceptation que la valeur dominante est l’agrément de la vie et non plus la vie de l’homme elle-même. Ceci étant il est plus facile de concevoir de satisfaire cette deuxième exigence que de vivre dans l’excellence en sachant que cela dépend des circonstances. Avec le second cas on attend moins de la politique, on est plus modéré. Plus on élève l’exigence et plus on reconnaît qu’être dans des formes imparfaites de politique est possible.

La conclusion de Strauss n’est pas non plus de revenir au perfectionnisme antique, mais il faut réapprendre à lire la philosophie politique antique (ce qui est aussi l’ambition à nouveau frais de Luc Ferry), pour nous réhabituer aux types de raisonnements qui permet de dire que telle forme de vie est bonne ou mauvaise, cette sûreté du jugement hiérarchique.

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