PHILOPURE

Commentaire : Les attributs et l’unicité de Dieu, saint Augustin, La cité de Dieu, XI, 10, 2-3.

Le présent commentaire a été composé en partiel le 18 janvier 2012. Deux points ont été corrigés, d’une part l’absence de considération pour les idées divines mentionnées implicitement dans la seconde partie de l’extrait, et une contradiction sur l’explication de l’expression « il est ce qu’il a, et tout ce qu’il a, c’est lui seul. » (l. 26 et 27). Du reste rien n’a été modifié si ce n’est deux ou trois formulations syntaxiques, dans un soucis de clarté et de fluidité de lecture et de compréhension. Enfin, deux traductions sont disponibles à la suite de ce commentaire. Ce dernier s’en réfère à la traduction de Combès, dont le lignage est indiqué.

Tenir un discours sur Dieu implique, par la prédication du langage, de conférer à Dieu des attributs. Mais puisque Dieu est infini, comment un discours peut-il se prononcer sur lui ? Autrement dit, quelles sont les possibilités de connaissance de Dieu ? Faut-il dire ce qu’il est ou bien ce qu’il n’est pas ? Pour répondre à cette difficulté de la parole sur Dieu, saint Augustin propose de tenir un discours sur Dieu qui soit aussi un discours à Dieu, un dialogue. C’est donc par cet échange avec Dieu, principalement par l’adresse à Dieu qu’est la prière, que se joue la possibilité d’un discours sur Dieu et d’une connaissance de Dieu.

Deux questions se posent alors et ce sont celles auxquelles répond cet extrait du De Civitate Dei de saint Augustin au livre XI, chapitre 10, paragraphes 2 et 3. la première question est traitée ici par Augustin concerne en premier lieu cette possibilité d’un discours sur Dieu grâce à sa présence à soi. Pour le dire autrement et à y regarder de plus près, dans quelle mesure Dieu peut-il être présent en notre âme ? Pour Augustin cette présence est comparable à un volume capable d’être éclairé de l’intérieur, ce qu’il convient en première partie d’expliquer. Parce que cette présence par la lumière amène à une seconde question qui est celle des modalités de connaissance du divin. Faut-il connaître ce qui est divin pour connaître Dieu ou bien est-il plus approprié de le connaître lui-même, pour ce qu’il est ? Contre la démarche du paganisme grec antique, c’est la seconde voie qu’emprunte Augustin, expliquant ainsi en quoi la pluralité de ce qui est divin se confond et ne peut se comprendre qu’en Dieu seul.

Parce que parler de Dieu c’est aussi prendre le risque de conférer à sa nature une multiplicité qui pourtant lui est étrangère. C’est aussi la raison pour laquelle ce discours sur Dieu doit aussi être adressé à Dieu. Alors faut-il analyser la relation de soi à Dieu pour comprendre comment l’infini peut être présent dans le fini. Ou, pour le dire autrement, il faut comprendre comment « l’immuable Sagesse », c’est-à-dire Dieu est présente en « l’âme » (l. 3 et 4).

Augustin explique que même purifiée de tout péché, de tout vice ou de toute passion, que tant bien même en serait-elle « délivrée » (l. 2), l’âme ne serait pas pour autant sage sans que cela ne dépende de Dieu et de son « immuable Sagesse ». Parce qu’aussi sage que puisse être un homme, sa sagesse n’en demeurera pas moins finie alors que celle de Dieu demeurera inchangée et éternelle. En cela au moins la sagesse de Dieu « n’est pas ce qu’est l’âme » (l. 4). Et se libérer de ce qui entrave cette sagesse de l’âme c’est cheminer vers Dieu, se rapprocher de l’éternelle pureté de sa sagesse. Aussi ne cesse-t-on pas de trouver Dieu en même temps qu’on le cherche en tentant de se rendre semblable à lui, de se convertir à sa sagesse. Il y a donc déjà un rapport de soi à Dieu par cet appel de la perfection, une relation de « participation » dans cet effort de l’homme pour aller vers Dieu.

Mais Augustin va plus loin encore en précisant ensuite que même notre sagesse finie n’est pas la nôtre en propre mais celle de Dieu en nous. Il convient alors d’examiner ce rapport de « participation » (l. 3), comment Dieu est en nous sans pour autant s’ épuiser. Augustin emprunte alors une image pour expliquer cette relation, celle de la relation entre l’air et la lumière qui l’illumine. Ainsi, tant bien même l’air serait-il toujours illuminé, cela ne signifierait pas pour autant que l’air est la source de la propre illumination. Il ne faudrait pas s’y tromper et à cet égard Augustin rappelle « qu’autre soit l’air, autre cette lumière qui illumine » (l.6 et 7), comme l’âme n’est pas la sagesse même si elle peut être à jamais sage, et la sagesse ne peut tout entière se trouver en l’âme.

À cela Augustin ajoute une correction au sujet de la nature de l’âme qui incorporelle contrairement à la nature de l’air. Il précise par là que cette image se cantonne à comprendre cette relation de l’âme avec Dieu mais aussi mais aussi à une définition de la nature de l’âme comme incorporelle. Ainsi Augustin a-t-il expliqué en quoi d’une part il n’y a pas plusieurs sagesses , une propre à l’homme, l’autre de nature divine mais une seule en Dieu que l’homme peut recevoir en son âme comme par illumination. D’autre part, il vient de montrer que ce qui peut être illuminé n’est pas la même chose que ce qui illumine, que la sagesse de l’âme est autre que celle de Dieu. Dès lors il convient de montrer comment cette lumière divine peut-être présente en l’âme si l’âme n’est pas une source propre de lumière. La présence de cette lumière divine est possible parce que l’âme en est capable. Il s’agit ici du concept augustinien important de la capax Dei. Capable au sens où elle est incorporelle comme l’est la lumière divine (l. 11 et 12). il s’agit donc d’une double capacité. D’une part l’âme doit se purifier de la multiplicité du sensible, des passions qui en résultent et qui suscitent le péché. En ce sens sa capacité à accueillir Dieu en son sein est quasi volumique. D’autre part et cela découle de cette première capacité, l’âme se conforme ou est compatible avec la présence de Dieu en ce qu’elle n’est pas corporelle. En cela l’âme et la lumière de Dieu « ont une certaine ressemblance » (l. 11), car en se purifiant, l’âme s’unifie et peut alors recevoir « la Sagesse simple de Dieu » (l. 13).

il est donc à présent clair que la présence de Dieu en l’âme trouve son origine en Dieu seul et que par suite la participation de l’âme à Dieu n’est du qu’à la capacité qu’elle s’est donné à recevoir sa Sagesse et non pas celle d’être sage par elle-même. Aussi et en conséquence, s’éloigner de Dieu implique de s’éloigner de sa lumière et de s’éteindre. Ici la présence de Dieu est aussi une source de vie pour l’âme. Un discours sur Dieu doit donc bien être un discours qui lui est en même temps adressé. Car dans ce dialogue Dieu est présent à soi et conditionne la possibilité à la fois d’un discours et d’une connaissance sur Dieu.

Mais si Dieu peut ainsi faire l’objet d’un discours par la présence de ce dernier à soi, faire de Dieu l’objet d’une connaissance n’est pas encore résolu. Car jusqu’ici ce que l’on sait de Dieu est en contradiction avec sa nature. Dire de Dieu qu’il existe, qu’il est sage ou encore qu’il est source de vie, n’est-ce pas introduire en sa nature de la multiplicité ?

C’est à cela que répond Augustin dans ce deuxième temps, au paragraphe 3. et c’est à partir de cette distinction entre l’âme et ce qui lui donne sa sagesse, sa lumière ou encore sa vie qu’il insiste sur le fait que tout ce que peut recevoir l’âme provient d’une seule « substance ». cette participation de l’âme à Dieu n’y introduit aucune multiplicité car l’âme participe à Dieu grâce à ce que Dieu lui-même et Dieu seul lui donne.

Et en Dieu, tout ces attributs ou « perfections » (l. 19) sont « simples » et non multiples en ce que chaque perfection se ramène à une autre. Sa Sagesse est source de lumière et sa lumière est sagesse. Sa lumière est source de vie et la vie est illumination de Dieu. Ainsi sa Sagesse est vie et la vie témoigne de sa Sagesse. Pour le dire autrement toutes ces perfections ne se comprennent qu’en Dieu seul, c’est la raison pour laquelle « ce n’est pas par participation à rien d’autre qu’elles sont la divinité, la sagesse ou la béatitude » (l. 22 et 23). c’est-à-dire que ces perfections ne se rapportent qu’à Dieu, qu’elles sont toute une seule et même substance, un seul et même Dieu. En ce sens la richesse de ces attributs est le gage de l’unicité de Dieu et non l’inverse.

Et c’est aussi en ce sens selon Augustin que les « Saintes Ecritures » (l. 23 et 24) « appellent l’Esprit de Sagesse multiple » (l. 24 et 25), car appeler la multiplicité de Dieu c’est appeler son unité qui comprend et confond en elle toutes les perfections. Aussi est-ce la raison pour laquelle il insiste sur ce point en affirmant que Dieu a tout parce que Dieu est tout. Ainsi « tout ce qu’il a, c’est lui seul. » (l. 27). pour expliquer davantage encore ce lien entre l’unicité absolue de Dieu et la richesse qu’il comprend, Augustin revient à la « Sagesse » (l. 27). il rappelle qu’elle « n’est pas multiple mais une, et en elle sont des trésors infinies », et il ajoute ensuite que ces richesses sont « finies pour elle » (l. 28) c’est-à-dire pour l’unité de la Sagesse. Cette richesse infinie de la Sagesse n’est donc que relativement infinie, relativement à notre âme. Pr là, l’unité qui comprend la richesse de sa Sagesse la comprend toute entière alors que l’âme n’en reçoit qu’une partie par illumination. Il n’y a pas de multiplicité en Dieu en cela qu’il est tout, qu’en lui tout est lumière, qu’il n’y a rien d’obscure. Dieu contient donc en sa Sagesse « toutes les raisons invisibles et immuables des êtres » (l. 29 et 30), référence ici faite aux Idées platoniciennes. À la différence de Platon et comme Plotin, Augustin place un principe supérieur aux Idées, Formes ou encore Eidos. Et à la différence de Plotin, Augustin ne place non pas l’Un au dessus de ces Idées mais Dieu qui comprend toutes les Idées en son unité absolue.

Par là ces « raisons » ou Idées, ou encore ces connaissances ne sont invisibles que pour l’âme qui ne peut quant à elle embrasser la totalité de cette richesse mais seulement en être éclairée selon une capacité finie. Pour ce qui est de Dieu rien n’est invisible, tout est lumière, tout est parfaitement clair et connu. Car c’est par cette lumière, cette connaissance infinie que Dieu a tout créé, c’est-à-dire que « Dieu n’a rien créé sans connaissance ». ainsi la moindre connaissance que l’âme puisse avoir, même la plus infime voir même au sujet de l’obscur sensible est déjà à la fois une connaissance sur Dieu et apportée par Dieu puisqu’il est le principe de tout ce qui existe. En cela un discours sur Dieu ne peut que lui être adressé puisque Dieu est tout, partout et en toute chose, même en la matière. Car s’il a tout créé, ce ne put être possible qu’il créa avec une matière qui l’ait précédée et que Dieu ignora. Dieu a même créé la matière et donc l’espace et le temps. Car même si l’homme est lui-même capable de production, par exemple « l’artisan humain », il produit mais ne créé pas car d’une part il ne créé pas la matière de sa production, il ne sait pas même comment cette matière a été créée voire même ce qu’elle est en tant que telle. Surtout et d’autre part, l’homme ne peut tout prévoir du résultat. À l’inverse Dieu a créé en sachant déjà, en n’ayant que lui-même, sachant ainsi et depuis de toujours ce qu’est la matière pour la créer. Par conséquent « il n’a évidemment fait que ce qu’il avait d’abord connu » (l. 33 et 34). pour créer ex nihilo, à partir de rien, il faut bien que Dieu ait su par avance ce qu’il allait faire. Plus encore Dieu voulut éternellement créer, et on ne peut ignorer ce que l’on est pourtant éternellement décidé à faire. C’est pourquoi « Dieu n’a rien créé sans connaissance » et que tout créature est nécessairement la manifestation de la connaissance divine dans son acte même de création.

Par là notre rapport à Dieu n’est pas seulement une présence de Dieu à soi en son âme, mais ce rapport à Dieu est aussi un rapport au monde. C’est-à-dire que pour nous le monde est une condition de possibilité de connaissance de Dieu et Dieu à son tour permet de connaître le monde. Aussi le monde peut être connu parce qu’il existe, et cette existence du monde est l’affirmation de l’être de Dieu à travers son acte de création. Le monde ne doit donc son existence qu’à Dieu seul, ce qui explique que nous puissions l’ignorer sans que cela n’amenuise sa présence. À l’inverse, c’est parce que Dieu sut ce qu’il allait créer que la création du monde dépend de sa connaissance. Car s’il avait ignoré ce qu’il allait créer il n’aurait pu le faire ou, pour le dire autrement et selon Augustin, « pour Dieu, s’il n’était connu, il ne pourrait exister. » (l. 37 et 38).

La question des attributs de Dieu est donc clarifiée par la question du rapport de soi à Dieu qui inclut la possibilité d’énonciation d’un discours à son sujet. Parler de Dieu c’est parler à Dieu, ce qui implique une certaine capacité à recevoir Dieu dans ce dialogue. Et finalement l’erreur était de penser de la multiplicité en Dieu. La richesse de Dieu provient de son unité et est son unité. Touts ses attributs, ses perfections se confondent en lui seul. Il n’y a de multiplicité qu’apparent et relative à l’incapacité de l’âme à embrasser cette unité. Elle peut donc se sentir dépassée voir débordée mais cela n’indique pas une quelconque multiplicité en Dieu mais une capacité de l’âme non pas à comprendre en elle cette unité divine mais à pouvoir seulement être touchée, vitalisée et illuminée par cette unité. Un discours sur les attributs de Dieu est donc un discours qui doit en premier ordre porter sur son unité et ensuite sur le monde car son unité comprenant tout, elle comprend aussi le monde. De ce fait Dieu connait tout car tout est en lui et que lui tout entier n’est que lumière. Tout est visible à Dieu, il n’ignore donc rien. Et parler de Dieu et à Dieu c’est apprendre, c’est aussi recevoir dans ce dialogue à la fois une connaissance de Dieu, du monde et de soi.

Trad. Combès

Trad. Lucien Jerphagnion, éd. Pléiade

Une réflexion sur “Commentaire : Les attributs et l’unicité de Dieu, saint Augustin, La cité de Dieu, XI, 10, 2-3.

  1. Salut Loac, je viens de recevoir par mail tes travaux sur st augustin et afin de te répondre correctement, je ne comprends pas le sens : »de conférer à Dieu des attributs. « Merci de ton retour

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